Dix-neuvième équipée

Le 10 novembre 2018, nous ne fêtâmes pas le centenaire du Chien à trois pattes. Il n’était pas né et, de toutes les manières, commémorer, ça va cinq minutes. Deux fois sur trois, il pleut, c’est humide, trop humide, et ma passoire n’est pas étanche. Et les feuilles mortes collent aux basques. Mais ça, c’est un problème récurrent avec les morts : ils veulent à tout crin, je trouve ça cavalier, que l’on se souvienne d’eux. Bonjour tristesse, aurait dit la grand-mère du cycliste (Françoise et Peter, pour les incultes). Je préfère la musique, avec deux musiciens (soit quatre pattes) quel que soit le temps de chien. Un duo donc, avec du vécu plein la besace et de l’empathie à revendre : Gérard Maimone et Jean Cohen. Le dernier cité prévint la nombreuse assistance que toutes les compositions au programme étaient de la plume de son collègue. Sachant la maîtrise de Gérard Maimone pour capter l’attention et captiver l’auditeur en délivrant une musique imagée aux mélodies attractives, nous ne nous inquiétâmes pas pour la suite des événements. Et il en fut comme il devrait en être. Alors je vis passer entre les notes quelques paysages élargis aux alentours d’un silence pluriel. Était-ce un livre d’images ou un livre d’heures ou un savant mélange ? Entre les réminiscences de standards et l’expression individuelle native, des phrases jetées au vent par le clavier et des sons à la rugosité séculaire propulsés dans (peut-être sur) l’espace s’épousèrent non sans préliminaires. A la durée, mes ouïes reconnaissante.

Loin des schémas corsetés par l’habitude, une respiration double engendra un souffle, dénigra le bornage et l’usuel, se hasarda dans la quête d’un horizon affranchi, le seul qui sied aux esprits vagabonds du libertinage tonal. L’un poussa les flux et l’autre pêcha entre les courants, dans les trous et remous, la nourriture mélodique qui alimenta la signature esthétique de l’ensemble. Pas de combat au sein de cette double entente, pas de débat dans la double écoute. Le bât ne blesse jamais les dialoguistes. Gérard Maimone et Jean Cohen sont amoureux du partage. Ils détachent des âges musicaux la part des anges, la livre sur la desserte d’une audience affamée d’échange telle une nature vive offerte à la gourmandise des vivants. Était-ce dû au 10 novembre en soi ? Lui qui vit naître Ennio Morricone (1928) et Paul Bley (1932) doit en connaître un bout sur les méandres de la libre mélodie, du bon vouloir modal et du tempo tempétueux. Et je ne dis rien des soupirs, des langueurs résonnantes et des silences interstitiels. Il ne faut pas gâcher. Ce doit être un de ces jours insolites où l’arbitre est sur la touche, un jour libre réservé aux esprits qui coupent à travers champs, chant, quand d’autres cultivent l’habitus, celui qui fait le moine, pas le Monk.


Dans nos oreilles

Don Byron - Aruan Ortiz - Random dances and (a)tonalities


Devant nos yeux

Poetry - Volume 213, N°1


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