Monsieur Claude

Le voyage avec Claude Debussy (traduction du titre anglais du CD) du pianiste romain Enrico Pieranunzi s’est arrêté (ou presque) pour raison médicale aux portes de l’auditorium du Conservatoire de Caen. Deux de ses compagnons de route, le contrebassiste Diego Imbert et le batteur André Ceccarelli sont cependant arrivés à destination. Heureusement pour nous, un pianiste peut en cacher un autre ; aussi Pierre de Bethmann, au pied levé, s’est installé au piano. Le voyage s’en trouve forcément bouleversé. Monsieur Claude, unique voyageur pressenti, se retrouve aux côtés de Maurice Ravel voire de Gabriel Fauré, en bonne compagnie donc. En outre les compositions (pour la moitié quand même) empruntées à Debussy sont celles là même qui figurent dans le disque du pianiste initialement prévu dans ses propres arrangements. C’est superbe. Les thèmes sont beaux( ils nous sont largement connus) et la création de Pieranunzi les a rêvés dans un autre écrin. Entouré de ces deux joaillers de la contrebasse et de la batterie, le résultat a séduit l’auditoire des grands soirs (classique et jazz mélangés ?). Le pianiste Pierre de Bethmann a eu le mérite de reprendre à son compte le répertoire revisité par son collègue tout en puisant dans le sien propre qui, lui aussi, comporte des hommages à la musique française du début du XXème siècle et de les faire alterner. Ce double cadre Debussy/Pieranunzi a probablement contribué à calmer son ardeur improvisatrice parfois un peu harassante ; ainsi dans sa propre version du Tombeau de Couperin, il sait tenir la ligne mélodique sans trop de soubresauts rythmiques. Idem pour Sicilienne de G. Fauré. S’il lâche plus largement la bride au Gollywog’s Cakewalk de Debussy, c’est que ce thème flirte ostensiblement avec le jazz. Une ballade de Charlie Haden servait moins de transition que de liaison à deux univers si lointains parfois et si proches ici.

Auditorium du Conservatoire de Caen
Mardi 6 novembre 2018 20h

Pierre de Bethmann : piano/ André Ceccarelli : batterie/ Diego Imbert : contrebasse


Naïssam Jalal

Changement de décor (la ferme Varembert, point de départ du festival Jazz dans les Prés) et d’univers avec l’Orient évoqué par les compositions de la flûtiste franco syrienne Naïssam Jalal. Dernière invitée de ce festival itinérant, elle était accueillie la veille au Jazzcafé du théâtre de Caen. Double exotisme assuré ici avec, d’un côté la campagne normande agitée par une tempête de feuilles mortes, et de l’autre les déserts orientaux en proie aux déchaînements des hommes. Repérée au festival Jazz sous les Pommiers en compagnie de son quintette Rhythms of resistance, elle s’impose comme instrumentiste aux côtés de de ses collègues Ludivine Issambourg , Sylvaine Helary …. Ce vendredi soir, c’est -selon la formule consacrée- entourée de musiciens régionaux qu’elle donnait son concert .
Terre de tous les contrastes où jazz et musiques orientales se succèdent, interagissent, se mélangent au fil du concert. La rêverie nomade initiée par la flûte soliste peut ainsi à tous moments déboucher sur l’univers rythmique du trio piano/basse/batterie. De la même manière l’anachronisme des formes musicales du XIIème siècle rencontre sans transition le chant rageur de révolte de l’Orient contemporain.
Au total cependant, la poésie demeure par la grâce de la flûtiste et de ses accents intemporels teintés de jazz. Entourée de la jeune Clémence Gaudin déjà vue sous la direction de Christophe Monniot à la Fermeture Eclair de Caen, du toujours sémilllant Guillaume Chevillard et d’un nouveau venu (enfin presque) sur la place caennaise, le non-moins talenteux pianiste normand Timothée Bakoglu auquel Jazzcafé avait donné « carte blanche », la saison passée, Naïssam Jalal devait clore cette nouvelle édition de Jazz dans les Prés après deux étapes ultimes,les jours suivants, dans l’Orne et la Manche.
Prochain invité pour inaugurer la saison 2019, le clarinettiste Louis Sclavis  !

Photo Sophie de Courrèges

Ferme Culturelle du Bessin (dite Ferme de Varembert), Creuilly sur Seulles (14)

Vendredi 9 novembre 2018, 21H

Naïssim Jalal Naïssam Jalal, flûte/ Timothée Bakoglu, piano/ Clémence Gaudin, contrebasse/ Guillaume Chevillard, batterie


Rymden

Premier concert de la nouvelle saison jazz dans la grande salle du Théâtre de Caen avec la venue de Rymden dans le cadre du festival (France, terre de centaines de festivals annuels !) Les Boréales. Esbjörn Stevensson Trio (EST) avait ouvert le bal, il y a plus de dix ans dans un contexte analogue. Mais c’est privé de leur pianiste Esbjörn Stevensson prématurément décédé que ses deux anciens complices se sont présentés dans leur nouveau trio constitué autour d’un autre pianiste Bugge Wesseltoft, pour ce premier et unique concert en France. Après le succès sinon planétaire du moins très largement au delà des frontières scandinaves d’ EST, il est tentant de reproduire le modèle dans l’espoir de reconduire le succès. Il y a un peu de cela avec ce nouveau trio. Du moins, la pensée d’un jazz comme musique populaire est constante. L’auditoire, très consistant du Théâtre de Caen, a dû rassurer les musiciens. Mélodies éthérées, énergie rock et débauche sonore aux claviers, semble être un tiercé gagnant. La première composition intégrant ces trois paramètres est à ce titre convaincante. Parfois le vaisseau tremble sous les soubresauts des machines et l’on songe à ses scènes du tout dernier film de Damien Chazelle( l’homme de Whiplash) First man, lorsque les pilotes subissant les avatars mécaniques avant de reprendre la main, évitent ainsi le vide sidéral qui les menace. Ca tombe bien puisque Rymdem en norvégien signifie cosmos nous indique le programme ! L’ordre est rétabli, la machine tourne à plein régime et en guise de tableau final, on se croirait projeté dans une musique de film au dénouement triomphal. Pari réussi cette fois-ci, sans trop d’effets de manche intempestifs.
Un dernier titre avant le rappel : pas de doute le Esbjörn Stevensson Trio est de retour !
Renouvellement du jazz contemporain comme annoncé ? Ou simplement naissance d’un nouveau trio ? C’est selon.
A suivre.

Théâtre de Caen

Vendredi 16 novembre 2018, 20 H

Rymden Bugge Wesseltoft piano, claviers/ Don Berglund basse/ Magnus Oström batterie