| 01- LIDDLE - OUI !
| 02- LEILA MARTIAL BAA BOX . Warm canto
| 03- SOUNDPRINTS . Scandal
| 04- LAPIS TRIO . The travelers
| 05- JEAN CHRISTOPHE CHOLET/MATTHIEU MICHEL . Extended whispers
| 06- CATHERINE RUSSELL . Alone together
| 07- THE ED PALERMO BIG BAND . A lousy day in Harlem - OUI !
| 08- JEAN PAUL HERVE . Ligne B - OUI !
| 09- COLUNIA . Zephyr
| 10- SHEMS BENDALI QUINTET . Choukheads


  LIDDLE

Outside in music

Brian Krock : saxophone alto, clarinette basse
Matt Mitchell : piano
Olli Hirvonen : guitare
Marty Kenney : basse
Nathan Ellman-Bell : batterie

Liddle, du nom d’un homonyme donné par James Joyce dans Finnegan’s wake, est constitué par le cœur du big band Big Heart Machine et forme un quartet augmenté par la présence rayonnante de Matt Mitchell au piano qui est un régal absolu. Tout à tour abstraite et lyrique la musique exposée dans ce disque à l’éclat contemporain affirme une personnalité forte. Inspirée, entre autre, par l’auteur irlandais précité, par le Five Elements de Steve Coleman et le compositeur Elliott Carter ou encore la Creative orchestra Music d’Anthony Braxton, elle déploie des schémas qui peuvent paraître inusités ou abscons mais dont la complexité première est effacée par la cohésion sidérante du groupe. A aucun moment l’auditeur n’est lassé par les chemins de traverse qu’emprunte le groupe en toute liberté car ils sont l’expression d’un travail audacieux réalisé en profondeur tout au long de l’enregistrement. Les textures musicales sont denses et dans l’ensemble, les créations sont bourrées d’une imagination et d’une originalité notables qui place cette formation du côté de celles que l’on remarque et que l’on suit car, assurément, elle ne manque pas d’avenir. Indispensable aux curieux et aux affranchis.

Yves Dorison


https://www.briankrock.com/


  LEILA MARTIAL BAA BOX . Warm canto

Laborie Jazz

Leila Martial : Voix, Glockenspiel, senza
Eric Perez : voix, guitare, percussions
Pierre Tereygeol : voix, guitare

Avec Warm canto, Leila Martial et ses complices poursuivent une quête anthropologico-musicale qui n’appartient qu’à eux. Après un premier album aux accents relativement bruitistes, les trois musiciens montrent une autre facette de leur talent. Plus épurée, plus intrinsèquement tribale aussi, leur musique puise dans les recoins du silence les sons dont ils accaparent la substance avec l’inventivité qui leur est propre. Ouvert sur l’inconnu musical de son voisin, chaque instrumentiste élabore avec créativité sa partie au service du trio qui fédère dans sa sonorité globale toutes les énergies développées. Les rythmiques et les voix incantatoires qui parcourent l’album nous ont rappelé, à certains moments, le travail de Jim Pepper sur les chants amérindiens, ce qui n’est pas une honte, bien au contraire. Ancré dans l’essentiel, la musique de Baa Box privilégie l’organique et le soudain, autrement dit l’atemporel et l’instantané, dans un melting pot imaginaire assumé aux échos empreints d’une prégnante humanité multiculturelle, ce qui n’est pas très tendance par les temps qui courent mais demeure essentiel à ceux qui savent encore rêver. Tout l’art subtil de ce groupe réside assurément dans sa faculté d’absorption des multiples influences et dans sa capacité de re-création qui participe à la construction définitivement originale d’un espace musical qui porte en lui la marque aventureuse de l’exception.

Yves Dorison


https://leilamartial.com/


  JOE LOVANO & DAVE DOUGLAS SOUNDPRINTS . Scandal

Greenleaf Music

Joe Lovano : saxophones
Dave Douglas : trompette
Lawrence Fields : piano
Linda may Han Oh : contrebasse
Joey Baron : batterie

En règle générale, le line-up pose la base comme on dit. Ici, vous avez du XXL, du doré sur tranche, de l’or en barre e tutti quanti. Cela suffit-il à faire un beau disque ? En l’occurrence, oui. Les égos sont restés au vestiaire, pas la musique. C’est bien le plus important. Chacun des musiciens participe. C’est un beau verbe, participer. Cela dit bien ce que cela veut dire. Or donc, la trame de cet album est celle de musiciens qui usent de leur art avec une justesse émérite et qui nous donnent quelquefois l’impression d’improviser au sein même de l’improvisation. Le monde shorterien et ses augures ne sont pas loin. Ici l’on s’écoute et l’on se répond sur un mode conversationnel joyeusement serein. L’on s’interroge et l’on creuse. Du fond et de la forme, l’on extrait une musique qui contribue élégamment au débouchage des oreilles et suscite chez l’écoutant une forme accomplie de plaisir auditif typiquement jazz. Notons que Linda May Han Oh est impériale et que le jeune Lawrence Fields, ce n’est déjà plus une révélation, confirme son aptitude à habiter l’harmonie avec une originalité plus que pertinente. Comme les trois autres évoluent dans leurs hautes sphères habituelles, cela donne un CD par moment vertigineux. Il est aussi, au détour d’une phrase, discrètement swinguant mais préfère toutefois se perdre dans les méandres contemporains d’un discours riche de surprises.

Yves Dorison


https://greenleafmusic.com/


  LAPIS TRIO . The travelers

Paradigm Records

Casey Nielsen : guitare
Dan Thatcher : contrebasse
Tim Mulvenna : percussions

Voilà un beau disque de plus, avec des musiciens de nous encore inconnus, qui réaffirme la vitalité du jazz américain en dehors du cercle des légendes et de l’espace commercial Casey Nielsen, le guitariste et concepteur de tous les titres du trio s’est imaginé en compositeur devant produire chaque jour pour sa communauté un morceau. Étonnamment baigné dans une ambiance quasi médiévale, ce disque invite au voyage, à l’itinérance, et l’on ne tarde pas à son écoute à créer une imagerie mentale au sein de laquelle se mélange harmonieusement l’idée du labeur villageois dans une nature domptée et le rêve propre à chacun de prendre la tangente par les chemins de traverses pour aller voir ailleurs de quel noir sont peints les corbeaux. Les cordes nylon du guitariste sont pour beaucoup dans cette impression paysagère, d’autant plus qu’elles s’appuient sur une contrebasse et des percussions dont l’acoustique évoque l’épaisseur mate et souple de la fumée odorante dans l’âtre. Cette musique aussi intelligente qu’intrigante pourrait venir d’un continent ou d’un autre, d’une saison indistincte, tant elle semble écrite sur une base émotionnelle universelle qui parle autant au physiologique qu’au mental. Aucune des mélodies ne laissent indifférent et elles créent une sorte de continuum mélodique propice à la divagation. Finement ciselée, elle excelle dans l’art de la suggestion. Un album conseillé.

Yves Dorison


https://www.caseynielsen.com/


  JEAN CHRISTOPHE CHOLET – MATTHIEU MICHEL . Extended Whispers

Neuklang

Jean Christophe Cholet : piano
Matthieu Michel : trompette, bugle

Invités :
Didier Ithursarry : accordéon
Ramon Lopez : batterie
Heiri Känzig : contrebasse

Nous aimons le duo Jean-Christophe Cholet / Matthieu Michel. Dans sa version étendue avec les invités ci-dessus énumérés, il nous offre d’autres couleurs. Toujours liée à des pigments sonores qui crée des tableaux à la densité musicale étonnante, il impose une dramaturgie qui s’adresse aux confins du sensible. L’auditeur ne peut que se laisser porter dans cet espace à l’imaginaire fructueux où surabonde la douceur mélodique et la finesse des timbres. Chacun des musiciens apporte une ou plusieurs compositions, ce qui n’empêche pas le disque d’être parfaitement homogène. C’est à l’évidence le travail d’une formation accomplie dans sa recherche d’espace et de silence qui permet à chaque note d’être clairement exprimée dans sa plus profonde résonance. Cette musique de l’intime, avec une cartographie aux nuances étendues, évoque en toute circonstance la rêverie comme pierre angulaire d’un travail musical abouti, entre parcimonie debussienne et souplesse wheelerienne, où se croisent l’équanime et le poétique.

Yves Dorison


https://www.jeanchristophecholet.com/
https://www.bauerstudios.de/en/18/neuklang.html


  CATHERINE RUSSELL . Alone together

Dot Time Records

Catherine Russell  : voix
Tal Ronen : contrebasse
Matt Munisteri : guitare
Mark Shane : piano
Evan Arntzen : saxophone ténor (1, 4 to 8, 11)
John Allred  : trombone (1, 4 to 8, 11)
Jon-Erik Kellso  : trompette (1, 4 to 8, 11)

Vous pensiez peut-être échapper dans cette vitrine d’avril à l’incontournable disque mainstream. Bad news, c’est raté. .. La bonne nouvelle, c’est que l’artiste convoquée dans ces colonnes est Catherine Russell. Certains, les plus nombreux, qui sait, connaissent son travail avec David Bowie. Les autres savent que son cher père fut longtemps le directeur musical de Louis Armstrong. A l’écoute, tout le monde sait que c’est une chanteuse sensible au parcours suffisamment riche pour que sa voix soit habitée et propre à séduire les pavillons auditifs les réticents. Le style musical est classico-classique et il ne faut pas vous attendre à la moindre surprise. Néanmoins, c’est du travail de très bonne facture avec un swing impeccable et les couleurs qui vont avec. En s’appuyant sur son groupe, la new-yorkaise exprime pleinement son potentiel et, qu’elle pousse un peu la voix ou qu’elle susurre, elle est à même de vous coller quelques frissons. Ce ne fut cependant pas notre cas. Non pas que nous soyons insensibles, mais plutôt par sont convoqués les canons d’un jazz qui nous a paru par trop passéiste. A vous de voir.

Yves Dorison


http://www.catherinerussell.net/


  THE ED PALERMO BIG BAND . A lousy day in Harlem

Sky Cat Records

Cliff Lyons : saxophone alto, clarinette, sax soprano sur Affinity
Phil Chester  : saxophone alto et soprano, flûte, piccolo
Bill Straub  : saxophone ténor, clarinette, flute
Ben Kono : saxophone ténor, flûte, oboe
Barbara Cifelli  : saxophone baryton, clarinette basse
Ronnie Buttacavoli (lead), John bailey, Steve Jankowski  : trompettes
Charley Gordon (lead), Mike Boschen : trombones
Matt Ingman : trombone basse
Ray Marchica : batterie
Paul Adamy : basse électrique
Bob Quaranta : piano
Ted Kooshian : claviers

Comme beaucoup, nous connaissions Ed Palermo et son big band pour son travail sur le grand œuvre de Frank Zappa, nous le retrouvons-là dans une veine jazz avec grand plaisir. Cet incroyable arrangeur qu’est Ed Palermo démontre dans cet album sa capacité à renouveler des compositions marquées par leur époque. Avec une verve et un savoir-faire redoutables, il livre notamment une version du Caravan ellingtonien en tout point réussie, mais son Well you needn’t et son Giant Steps ne sont pas mal non plus. Nous ne citons-là que les morceaux les plus connus du répertoire de ce CD, mais sachez que les solistes n’y vont pas de main morte, que le groove de la rythmique propulse l’ensemble à des hauteurs musicales assez inusitées dans le monde du big band. C’est créatif et évidemment surprenant et, quand on croit avoir cerné l’affaire, le big band ose changer de rails sans perdre de vue le terminus du voyage en nous embarquant dans quelques décalages esthétiques insoupçonnables de prime abord. L’ensemble est riche en textures, en juxtapositions et en citations, ce qui est chez Palermo la marque de fabrique d’un artiste qui ne se prend jamais au sérieux et privilégie depuis toujours dans ses projets l’humour comme une arme de création massive. Il ne faut pas le considérer pour autant comme un second couteau. Et même si sa modestie doit en souffrir, il ne nous empêchera pas d’affirmer dans ses lignes qu’il est l’un des plus brillants arrangeurs de son temps. Cet enregistrement plein d’un souffle vital ravigotant vous convaincra à coup sûr de bien fondé de notre assertion.

Yves Dorison


https://www.palermobigband.com/


  JEAN-PAUL HERVÉ . Ligne B

Compagnie du facteur soudain

Jean-Paul Hervé  : guitare
Fred Roudet : trompette & bugle
Loïc Bachevillier : trombone
Raphaël Poly : basse, programmation
Hervé Humbert : batterie

Que vous le vouliez ou non, jamais vous ne prendrez le métro lyonnais comme Jean Paul Hervé. Au mieux, vous le prendrez avec lui, allez savoir… Alors, aller cueillir dans cet espace que nous trouvons à titre personnel triste et désespérant la matière d’un disque semble à première vue une gageure. Mais cela ne prend pas en compte le talent de l’artiste et des musiciens qui l’accompagnent. Et puisque le métro est à l’heure, le contretemps est une nécessité. Et comme le métro uniformise et lisse les flots humains, la mesure complexe permet de ramener les insoupçonnables identités des êtres qui l’empruntent au quotidien. Qu’un mouvement de foule répétitif soit le terreau d’un transport souterrain n’empêche pas l’individu d’exister (sous tes reins la vie circule aussi). Il permet aussi, entre les jingles et autres annonces impersonnelles, dans la circulation erratique des flux à l’original de révéler, de se révéler. Entre pulsions Rock ‘n’ roll et improvisations carcéricides, les mélodies laissent penser les possibles, que la chaleur humaine n’est pas seulement moiteur agressive par exemple, que le bruitisme ambiant peut céder au silence pour peu qu’on sache rêver. Et quelles que soient les violences du lieu qui sont ici traduites en musique, elles n’apparaissent pas comme inéluctables. Elles sont plutôt le catalyseur d’une révolte artistique intérieure qui s’accomplit dans l’expression musicale d’une réalité qu’il est toujours possible de contourner par l’imagination. Cette dernière est de toute façon utile avant d’acheter le titre de transport afin de garder les yeux et l’esprit ouverts, seul moyen d’autoriser l’autre et son sourire à vous atteindre. La poésie est à ce prix.

Yves Dorison


http://jeanpaulherve.com/


  COLUNIA . Zephyr

Aloya Records

Emilie Chevillard : harpe chromatique, konnakols, compositions
Florian Chaigne : batterie, konnakols, compositions
Gweltaz Hervé  : saxophones soprano, alto & baryton
Emeric Chevalier : contrebasse

Invités :
Linda Oláh  : voix (5, 8 & 9)
David Chevallier : guitares (3 & 7)
Geoffroy Tamisier : Trompette (5)
Thomas Jacquot : sitar (2)

Actif depuis 2013 le quartet Colunia propose avec ce deuxième enregistrement un jazz aux sonorités métissées qui ne déplaira pas aux amoureux du genre. Dynamique et donnant le sentiment d’aimer le grand large et la variété des paysages, leur musique ne manque d’énergie et peut pousser l’auditeur dans ses retranchements, pour peu qu’il soit inattentif, car l’ensemble est musicalement dense. Originale quant aux alliages sonores convoqués, elle s’exprime très largement dans des mélodies amples qui mêlent avec intelligence l’acoustique et l’électrique. Pour les férus de harpe, l’utilisation dans cet album d’une harpe chromatique (instrument récent mis au point par le luthier Philippe Volant qui contient les 12 notes de l’octave) sera un plus non négligeable.

Yves Dorison


https://colunia.wixsite.com/music


  SHEMS BENDALI QUINTET . Choukheads

Anuk

Shems Bendali : trompette
Arthur Donnot : saxophone ténor
Andrew Audigier : piano
Yves Marcotte : contrebasse
Marton Kiss : batterie

Le quintet du jeune Shems Bendali ne manque pas d’aplomb. Il évolue dans des sphères musicales qui évoquent Ambrose Akinmusire (en moins abscons) et quelques autres de ses contemporains. Avec des schémas narratifs utilisant bien l’espace, il développe une musique qui nourrit l’auditeur avec succès, pourvu qu’il soit de ceux qui apprécie ce style de jazz contemporain où la technique et la virtuosité des instrumentistes est une axe incontournable. Pour nous, cette ligne fondamentale masque un peu l’émotif et le sensible et, même si l’on apprécie évidemment la qualité de l’ensemble, nous avons éprouvé quelques peines à pénétrer cet univers musical.

Yves Dorison


https://www.shemsbendali.com/