Quarante-cinquième échappée

Ah la rentrée ! Assez longue à venir du côté de chez moi… Trouver un peu d’originalité n’est pas forcément simple. Comme si la programmation devait être, uber alles, l’art du consensus. Un joli mot d’ailleurs, consensus, mais dans notre société voué à l’asepsie, il fleure bon l’insipide. Alors pour les effluves capiteux de la nouveauté, le repérage pointu est un impératif. Et je rends grâce ici au Périscope et au Goethe Institut d’avoir nourri mon irréductible onirisme l’autre soir en invitant le trio de la jeune pianiste berlinoise Julia Kadel (Bernd Oezsevim à la batterie, Karl-Erik Enkelmann à la contrebasse). C’était un mercredi 18 septembre, jour qui vit naître en 1951 Douglas Glen Colvin, mieux connu sous le nom de Dee Dee Ramone (Lors de votre prochain séjour à Berlin, allez visiter l’indispensable musée des Ramones ! C’est Oberbaumstr. 5, et c’est cool...).

Dotée d’un toucher cristallin et parfaitement nuancé, Julia Kadel sait faire sonner un piano. Ce n’est pas donné à tout le monde et c’est la raison pour laquelle je vous le signale d’emblée. Elle compose de telle manière que ses phantasmes sonores évoquent autant la musique contemporaine minimaliste que le jazz affûté des explorateurs nés. Je fus par conséquent et de facto immergé, entre atonalité et harmonie, dans une succession imagière relayant son goût pour les points de vue alternatifs. Emplis d’espace, ses thèmes lui permirent, à elle et ses comparses, d’enrichir les lignes de fuite des mélodies avec pour viatique l’improvisation dans toute l’acceptation du terme. En mouvement dans un entre-deux-mondes, comme on hésite à déambuler sur un versant ou son pendant, sa musique oscilla entre douce rugosité et éclat caressant, entre froideur abstraite et sensualité primale, couvrant de la sorte un spectre musical souple et vaste. Le plus intéressant fut son aptitude gourmande à prendre des risques car, si autour de la trentaine beaucoup de musiciens se cherchent encore et brident leur désir musical en n’osant pas (ou en se fourvoyant), elle suivit l’autre soir son chemin musical, un chemin bâti sur une musique flexible et agile, avec une habileté et une ardeur déconcertantes, démontrant ainsi que le temps du doute était derrière elle (mais pas celui de l’incertitude, seule capable de créer la surprise). Avec ses condisciples, aussi à l’aise qu’elle dans l’improvisation collective, elle fit surgir de la musique qui l’habite une forme assez inaccoutumée de naturel, une joyeuse audace, qui modifièrent avec bonheur le cours de ma soirée et me permit de rentrer dans ma casbah pleinement satisfait. Et vous me connaissez, ce n’est pas tous les soirs…


JULIA KADEL TRIO . Kaskaden

MPS Records

Sorti début septembre chez MPS (quasi-mythique ce label allemand), sans avoir prévenu Culture Jazz (?), le troisième album de ce trio est à l’image de ce que nous avons écrit ci-dessus. Les compositions de la pianiste possèdent les qualités nécessaires aux trios qui veulent durer et demeurer créatifs. Libre à vous de l’écouter pour vous faire une idée. Nous vous le conseillons même ! Notez cependant que le batteur sur l’enregistrement est Steffen Roth et non Bernd Oezsevim comme au Périscope le 18 septembre dernier.


Dans nos oreilles

Julia Hülsmann trio - Sooner and later


Devant nos yeux

Bob Dylan - The essential interviews


https://juliakadel.com
http://www.periscope-lyon.com