« Et si c’était ça la vie, et si on ne nous l’avait pas dit ».

Vendredi 28 et samedi 29 septembre 2019

Le Festival Au Sud du Nord, pour sa vingt-troisième édition, persévère dans son projet d’éducation culturelle populaire in situ au fond de l’Essonne versant rural, dans le même esprit que Las Hejadas de las arts à Uzeste. Le public nombreux a fait sien ce texte inspiré de Prévert :

Dis donc camarade Popeye
tu ne trouves pas
que c’est plutôt con
de donner une soirée pareille
à la télévision ?

et est venu écouter le Wanderlust Orchestra qui rassemble :
Ellinoa, chant, composition et direction,
en première ligne un quatuor à cordes avec Adélie Carrage et Anne Darrieu violons, Hermine Péré-Lahaille alto, Juliette Serrad violoncelle,
en deuxième ligne un pupitre de vents avec Sophie Rodriguez flûte, Balthazar Naturel cor anglais et hautbois, Illyes Ferfera sax alto, Pierre Bernier sax ténor et soprano, Jules Boittin au trombone,
à côté ou derrière : Richard Poher piano, Matthis Pascaud guitare, Arthur Henn contrebasse, Gabriel Westphal batterie et Léo Danais percussions.
Un big band entassé-serré sur la petite scène, pas question de mettre en place des chorégraphies par pupitre ou des vagabondages trans-pupitres : on est prié de rester à sa place.
Après un début un peu timide en volume sonore et attaque des soli (un stress ausudunordiste ? ), l’orchestre prend son rythme de croisière, à la façon d’un orchestre symphonique qui se serait approprié le groove d’un big band. Le quatuor à cordes apporte une rondeur ronronnante, le quintet des vents de la douceur qui ne se fera jamais éclatante tonitruante riffaudante. Chaque morceau offre une opportunité de solo à un-e ou deux musicien-nes, et pas des soli pour faire joli, non non, des soli solides, élaborés, bien gaulés. Les arrangements s’appuient sur un jeu quatuor/quintet très mimi. Le hautbois mêle sa voix aigue si particulière, le piano se fait discret, impeccable support. Ellinoa s’y colle deux fois pour des soli classieux et intenses qui rappellent certaines pièces des Double Six. On se sent captif de cette musique truffée de trouvailles, des duos rompent la routine qui se profile : voix/piano, flûte/trombone, flûte/métallophone. Et les chutes qu’on subodore à des ralenti du tempo ou un ralento des tempi, un pianissimo soudain, à l’intrusion d’un solo a cappella, c’est fini qu’on se dit, c’est plié. Ben non. Rebondissement polardesque : le mort se relève, il portait un gilet pare-balles et les deux bastos l’ont à peine secoué, il se relève, les autres reviennent : miracle ( disent les crédules ) énigmes ( disent les raisonneurs), il retombe dans un hoquet, alors ça y est cette fois ? Non, pas tout-à-fait, il remue encore, les autres aussi et puis ça suffit maintenant, Ellinoa dans un grand mouvement du bras rassemble son petit monde qui la boucle.
On les rappelle of course pour le morceau éponyme : Wanderlust, qui signifie l’appel du large et de l’aventure. Pas moins.

La télé n’a pas fait recette non plus le lendemain pour le duo Machado/piano-Ithurssary/accordéon.
Jeu de regards, jeu de nuances, jeu d’unisson, jeu d’emmêler les soli, le mien fait vibrer tien, le tien fait résonner le mien, le tien le mien le nôtre s’ennouent l’un dans l’autre. On croirait une comptine, ils vagabondent poétique, errent nostalgique, dérivent mélodique. Sentier évanoui ça s’appelle.
Sans tournis nous emmène du côté de l’orient, dans une course effrénée : îles grecques, raki, soleil incandescent, ciel transparent, oliviers, danse d’hommes en jupettes, non, ce n’est pas un sirtaki, deux jeunes pleins d’hormones se la pètent.
No church but songs, solo poignant de Ithursary, silence de crypte du public chopé au coeur.
Vuelta intro à l’unisson, pièce tordue qui emprunte au puzzle son design, ils jouent furioso, se coursent, se doublent, redoublent sur leurs pas,
Un fado, ce blues lusophone, Perseguicao : fontaine sonore au piano, thème à l’accordéon, c’est simple et beau. On n’a pas vu le temps passer murmure Lamartine qui ajoute :
O temps suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours, laissez-nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours.

Il existe une grande proximité entre la bande d’Uzeste et au Sud du Nord, on dirait que ce soir, on assiste-participe à un genre de cousinade restreinte avec la présence de Bernard Lubat, Fabrice Viera et André Minvielle. Chacun se fendra non d’un solo mais d’une performance mêlant voix parlée, voix chantée et impro.
Viera a abandonné sa guitare, remplacée par des bidouilles électro. Lui qui semblait taiseux devient prolixe, sentencieux (non, on n’enregistre pas Les chemins de la philosophie pour-avec Adèle Van Reeth ) mais son propos touche à l’essentiel : le souffle (pneuma, chi, ki, prana ) et bien sûr l’improvisation. Improviser, dit-il, serait trancher dans l’art des possibles. Il se fend de la démo qui va bien et, qu’on se dit in petto, il fait avec l’aide de ses petites machines ce que Médéric Collignon fait en acoustique avec sa voix et son souffle, il y aurait comme de la modélisation dans l’air. Il sera question de dette-héritage ( respect à nos ascendants ), de l’après-midi d’un aphone, Pierre Dac flotte alentour ( « notre Père qui êtes osseux  » ) et c’est déjà à André Minvielle de s’y coller. Vocalchimiste je suis, déclare-t-il, et pas besoin d’explication, ce mec est un pédagogue-né dont le discours est tout de suite l’exemple même de ce qu’il nous raconte. S’il habite dans la plaine de Naï, c’est aussi pour explorer strangers in the naï, qu’il s’en aille ou pas, bref : un jongleur polysémantique. Il nous offrira Rocarocolo, oui, c’est un cadeau, un cas d’eau, inca DO bref, du Minvielle. Que dire sinon l’hénaurmité du moment rocacolesque ?!!! Il sera aussi question de Bernadette sous Birou, une fille qui aurait mal tourné, sans doute une infox de là-bas.
À son tour, Bernard Lubat, dans la droite ligne de son homérique one-man-chaud, assène quelques sentences qui, à défaut d’apparaître comme des sujets de bac philo, nécessitent un peu de temps pour traverser les différentes méninges et stimuler les réseaux neuronaux. « La liberté ? s’affranchir de l’illusion de se croire libre ; improviser ? C’est se souvenir de ce qu’on n’a pas encore joué  ». Il passera du piano au micro, triturera Jazz Panique dans tous les sens, il mettra en parole Blue Monk : j’ai dans la peau, la po-é-sie.....
Ils se rassemblent pour un final piano-percu-voix d’où émergera Indifférence fortement bousculée par leurs impros et quelque chose qui pourrait s’apparenter à Colchiques dans les prés. Ces mecs ne se refusent rien. À nous non plus.


Salle Delaporte - 91590 Cerny
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