Soixantième équipée

Hetty Kate. Drôle de nom. Oui, je crus de prime abord à une supercherie. Étiquette. Connaissant bien les joyeux larrons du « Strings on Top » qui l’entouraient ce soir-là au hot Club (Olivier Truchot au piano, Thibault François à la guitare et Patrick Maradan à la contrebasse), cela ne m’aurait qu’à moitié étonné... Mais non, la chanteuse anglo-australienne existe bel et bien et porte effectivement ce nom. Et comme je ne la connaissais ni d’Eve, ni d’Adam, aller à sa rencontre et écouter ce qu’elle avait à chanter me sembla a minima une précellente intention. Dans un Hot Club plein comme un œuf, l’élégante et ses servants d’un soir livrèrent un jazz classique fleurant bon les années quarante et cinquante. De noir vêtue, charismatique en diable et dotée d’un rare aplomb, elle fit preuve d’une présence scénique ébouriffante. Ne manquant jamais de s’adresser au public entre les morceaux avec un humour féroce, une impertinence souriante et une dose d’autodérision conséquente qui tint éloignée l’outrecuidance et la vulgarité, elle acquit rapidement la salle à sa cause : celle d’un jazz qui n’existe que par ce swing si particulier du milieu du siècle dernier, featuring Johnny Mercer, Blossom dearie, Tadd Dameron, Peggy Lee, Cole Porter, Gershwin, Doris Day et toutes celles et ceux que l’on oublie. Mais il faut plus que du charisme, aussi classieux soit-il, pour tenir la scène deux bons sets d’affilée ; et c’est là qu’intervint la technique vocale. Formée au classique, Hetty Kate possède une tenue de voix impeccable, un art émérite de la modulation, une diction limpide et une musicalité naturelle qui lui permirent, sur n’importe quel standard, d’investir la composition et de lui donner vie. Honorant le compositeur et le parolier, elle demeura au plus près du texte et de la mélodie, laissant toute liberté à ses musiciens de porter l’improvisation. Pleinement immergée dans les histoires qu’elle chantait et concentrée sur son travail vocal, elle leur insuffla le meilleur d’elle même avec une aisance si désarmante que l’auditeur fut obligé de la croire et ne douta jamais de la véracité de ses dire. Et quand vous connaissez la matière littéraire dont sont constituées les love songs du répertoire de cette époque, vous admettrez que c’est un tour de force ; un tour de force réalisé par l’aptitude de la chanteuse à fuir l’exagération et l’outrance. De fait, je la louai d’un bout à l’autre de la soirée pour ce qu’elle fit autant que pour ce qu’elle ne fit pas. Il semblerait (et l’apparence n’était pas trompeuse) que l’art de la séduction fut, dans ce cas, celui d’une personnalité solaire liée à un chant sobre, en équilibre sur le fil de l’harmonie. Pour finir, elle acheva l’auditoire avec un « Cherokee  » vitaminé que Ray Noble n’aurait pas désavoué. Ceci se passa un 14 février 2020, jour de Saint Valentin où les amoureux dépensent et se dépensent sans compter ni jamais songer au divorce. D’ailleurs ce dernier devrait lui aussi avoir son jour dans le calendrier. Après tout, il est aussi onéreux qu’une divine soirée aux chandelles, bla bla bla bla bla bla, voire plus, et il possède un inestimable avantage : rien ne vous oblige à recommencer l’année suivante. Cool, non ?


Dans nos oreilles

David S. Ware - Théâtre Garonne, 2008


Devant nos yeux

Pierre Bergounioux - Hôtel du Brésil