Où le pérégrin s’agite au vent mauvais...
Soixante-neuvième équipée
Deux semaines auparavant, mon téléphone intelligent m’a rappelé que j’avais un concert à vingt-et-une heure. Est-il un peu con mon téléphone ou son intelligence est-elle limitée ? C’était un 02 mai, jour de naissance de feu Eddy Louiss (1941-2015) et j’ai une fois de plus raté le concert du quartet de Julie Campiche. J’aurais pu me rendre au club et faire une photographie de ses portes closes. Mais bon, à quoi bon ? Mais quoi, à quoi bon ? Mais, mais, quoi, quoi, bon, bon. Pas de jazz. Rien, nada. Que de concerts en ligne, avec une qualité souvent défaillante (certains sont même discutables, très…) réalisés par de bonnes âmes qui ne veulent pas abdiquer, qui souhaitent offrir un peu de musique malgré tout à celles et ceux qui en sont privés. Une bonne intention fait toujours plaisir. C’est gentil. Alors les réseaux habillés de notes et de mélodies s’agitent et la ville, elle, demeure nue dans un silence où ses clubs agonisent. Le virtuel est vivant et le réel se meurt. Je rêverais volontiers d’un grand silence immatériel complice du dépouillement manifeste qui sustente nos heures insonores. Se taire. Se taire pour mieux revivre ensuite. Avec plus de force et une énergie créatrice nourrie d’absence et de frustration. Mais ce n’est pas pour demain. Attendre, contraint et forcé, devient une solution : par défaut. Un proverbe chinois dit que « à qui sait attendre, le temps ouvre ses portes. » Un autre, bien de chez nous, dit que « qui bien attend n’attend pas en vain. » Le jazz à venir et moi attendons donc que l’invisible fléau cesse de nous menacer et d’étriller la culture dans son ensemble. Vous aussi, je suppose. De cette période vécue entre parenthèse, il émergera possiblement des créations renouvelées et, qui sait, d’autres attitudes face à la nécessité de célébrer l’intelligence humaine en ce qu’elle possède de plus beau : son imaginaire humain ; celui qui permet à Chet de croire à l’histoire d’amour qu’il chante, celui qui permet à Billie de geindre douloureusement sur les vicissitudes de vies amochées, celui qui permet à Carla d’inventer une autre forme d’humour amoureux, celui qui permet à Bill d’oublier sa seringue, celui qui permet à un inconnu de vibrer par la musique et par les mots des autres, celui qui, à la fin, permet à chacun d’assouvir sa faim de beauté impalpable mais toujours nourricière. Comme vous, j’imagine, je suis en état de famine. Je suis la proie d’un creux sans confins duquel fuient les nourritures artistiques que j’ingurgite en vase clos pour tenter de sauver ma peau. Et je me stérilise malgré moi car je suis privé de celles et ceux qui font vivre mon imaginaire. Oui le virtuel est un attrape-couillon. Il n’offre en partage qu’un succédané d’humanité. C’est un moulin sans aile. C’est très insuffisant pour construire un futur. Ce n’est qu’un avatar. C’est aussi un mépris de notre réalité. Et je ne crois pas au mieux que rien. J’ai juste envie de toucher du doigt. Je veux juste démasquer, voir des lèvres bouger quand elles chantent comme quand elles parlent ou soufflent leurs vies intérieures. Et puisque il est question d’intériorité, je vais écouter, une fois de plus, Julie London. A chacun son phare.
Dans mes oreilles
Julie London - Julie at home
Devant mes yeux
Cécile Coulon - Le roi n’a pas sommeil