vendredi 19 février 2021

Quand un humain nait d’une mère Creek et d’un père kaw aux États-Unis, il n’est qu’un indien ; le mot amérindien est une création des ethnologues datant des années trente et aujourd’hui une manière politiquement correcte de nommer l’ensemble des d’un peuple déconsidéré et ignoré. Plus précisément, il est une résurgence au mieux négligeable, au pire insupportable, d’un groupe d’ethnies consciencieusement massacrées que personne sur sa terre originelle ne veut connaître et moins encore reconnaître. Jim Pepper fut cet humain parmi d’autres qui, en vertu des lois de la connerie humaine, manqua de bol à la naissance. De cet héritage filial, écrasé sous le fardeau des atrocités génocidaires, il fit pourtant un atout imparable dans le monde de la musique et notamment dans le jazz. Pionner en son époque, il donna à écouter de l’inattendu, une musique hybride dans laquelle les chants indiens firent épousailles avec la négritude du blues, de la soul, avec la blancheur de la pop aussi puis du jazz ensuite, jazz qui à la fin des années soixante commençait à s’ouvrir à la diversité, à marier les couleurs. Le premier groupe auquel il participa se nommait The free spirits où il côtoya Bob Moses et Larry Coryell. Inspirés par la pop très psychédélique de l’époque, ils additionnaient les sonorités indiennes (celles d’Eurasie) avec la soul. Pepper, dans cet environnement fumeux, démontrait déjà quel trublion il pouvait être en balançant des soli débridés préfigurant le saxophoniste habité au son si puissant qu’il deviendrait. Son second groupe, Everything is everything, n’enregistra qu’un disque éponyme et je l’évoque car il contient son thème fétiche, « Witchi-Tai-To  », dérivé d’une chanson Peyote que lui avait appris son grand-père et qui lui donnera une certaine célébrité. Dès le début de seventies et jusqu’à son décès précoce en 1992, encouragé par Don Cherry et Ornette Coleman a intégrer à sa musique l’héritage de sa culture indienne, il se produisit et enregistra sous son nom, sans omettre de collaborer tout au long du chemin avec des pointures ayant pour nom Paul Motian, Charlie Haden, Tony Hymas, Mal Waldron, John Scofield, Bill Frisell, la liste n’est pas exhaustive. Dans tous les contextes, quelles que furent ses immenses qualités musicales et son originalité première, Jim Pepper exhala une spiritualité intense et exprima un flamboiement intime aux accents pluriels, entre déchirement et espoir, mais toujours avec la fierté des peuples à jamais insoumis, injustement et honteusement détruits sur l’autel du colonialisme triomphant de la vieille Europe. Comme beaucoup de jazzmen, il émigra en Europe et vécut quelques années en Autriche. Il mourut d’un lymphome chez lui à Portland le 10 février 1992 à seulement cinquante ans. Il demeure aujourd’hui le seul de son genre à avoir popularisé avec une extrême éloquence les chants des nations indiennes natives d’Amérique du Nord au sein du jazz. À ce titre il est aussi singulier qu’incontournable. Bien évidemment, en cette première partie bizarroïde de vingt-et-unième siècle il est oublié ou, plus grave encore que pire tout pire, bêtement ignoré. Faudrait tout de même penser à être curieux.


Discographie sélective

The Free Spirits . Out of sight and sound – 1967
ABC 593 [LP]


Everything is everything – 1969
Vanguard VSD 6512 [LP] ; VSCD 708 (Japan) [CD]


Pepper’s Pow Wow – 1971
Embryo SD731 [LP] ; also on private label [CD] Re-released by Wounded Bird (2007)


Comin’ and Goin’ – 1981
Europa JP 2014 [LP], Rykodisc RCD 10001 [CD], Antilles AN8706 [LP/CD]


Dakota song – 1987
Enja 5043(Germany) [LP/CD]


The path – 1988
Enja 5087 (Germany) [LP/CD]


Art of duo – avec Mal Waldron – 1988
Tutu CD 888 106 (Germany) [LP/CD]


Remembrance - 1990
Tutu CD 888 106 (Germany) [CD]


Pour une discographie complète incluant ses multiples collaborations :

https://jimpepperlives.wordpress.com/pepper-discography/