LES AMIS AMÉRICAINS

Visions of Feeling : Photographies de Jacques Bisceglia

Jacques Bisceglia (1940-2013) a-t-il jamais perçu l’écho du débarquement du 6 juin 1944 ? Concernant celui de 2 juin 1969 à Cherbourg (Manche) il fut non seulement aux premières loges mais acteur avec son ami batteur Claude Delcloo, de cet événement. Dans la gare maritime, il immortalise en gros plan un noir américain aux allures d’acteur, cigare en main et lunettes de soleil stylées. Cet homme, Lester Bowie trompettiste, à peine plus jeune que Jacques Bisceglia, découvre l’Europe. Avec ses compagnons, il donnera naissance à une odyssée, celle d’Art Ensemble of Chicago. Jacques réalise cette photographie car sa route a préalablement croisé celle du photographe Marc Garanger (1935-2020) initiateur d’une discipline où la confraternité remplace souvent les formations techniques.
Le catalogue édité par RogueArt précède une exposition à venir au festival Sons d’Hiver. Un court album de famille, celle américaine que Jacques Bisceglia a adopté et réciproquement. Ces américains s’installent ou sont déjà installés dans une France hospitalière, théâtre d’expression de grands aventuriers d’un jazz libre. Jacques Bisceglia utilisera ses caméras dans le seul souci de documenter, de donner à voir : une mission.
Son lien avec la musique afro-américaine est fort. Un premier appareil photo lui a été offert par le cornettiste Rex Stewart.
Dans l’univers du reportage, Jacques fréquente illustres et virtuoses. Après son mentor Marc Garanger, il côtoie Philippe Gras (1942-2007), Guy Le Querrec, Horace, Christian Rose, … reporters investis sur les fronts des musiques effervescentes d’Alger à Amougies (Belgique) en passant par l’île de Wight, la fondation Maeght de Saint-Paul de Vence ou Chateauvallon.
Paris est en ébullition, Claude Delcloo a lancé la revue Actuel en 1967. Jacques s’y investi en parallèle du label BYG. Ces années 60 constituent le sel de l’exposition et du catalogue riche de témoignages dont celui de Delfeil de Ton, un des premiers porte parole du jazz bouillonnant.

Bien plus tard, au XXI ème siècle, Jacques Bisceglia guidera les pas d’un nouveau label : RogueArt (Michel Dorbon & Christine Barreau) qui publie ce catalogue raisonné d’une époque déraisonnable.
Dans cet album, une image nous éclaire : 6 décembre 1968, Sunny Murray (présent à 3 reprises dans le recueil) accoudé au comptoir de la singulière discothèque Le Storyville, qu’avait créé Jacques Bisceglia rue de la Huchette. Le batteur regarde une jeune suédoise … à découvrir.
33 photographies signées Jacques Bisceglia (de 1968 à 2003) aussi amicales qu’amoureuses, 5 mouvements en forme de réunion de sa chaleureuse famille américaine.
Tout à tour acteur et chroniqueur attentif d’un jazz intrépide, on retiendra l’autorité de Jacques Bisceglia, rare personne se permettant de dialoguer d’égal à égal avec des légendes.

Christian Ducasse


Un catalogue édité par RogueArt, 10€
https://roguart.com/product/visions-of-feeling/169