Jeudi 26 août 2021

Trio Felsh

Il y avait longtemps, bien trop longtemps, que je n’avais passé une soirée à Jazz Campus. Ce fut donc un contentement de retrouver le théâtre des Arts de Cluny et l’ambiance conviviale de ce festival unique en son genre. La soirée débuta avec un trio local dénommé Felsh, un trio piano, contrebasse et batterie, ce qui me fit penser, l’ombre d’un instant, que le jazz dans son acceptation grand public du terme, serait de la partie. Mais il se trouve que j’étais à Cluny et qu’en ce lieu l’imprévu fait toujours son nid. Je fus donc confronté à trois jeunes pousses qui me laissèrent croire que l’on peut être jeune, avoir des influences et savoir conjuguer le verbe pronominal « s’émanciper » à tous les temps et tempi. Leur musique, à cette aune, fut décomplexée et plaisante. C’est déjà beaucoup, n’est-ce pas. Suffisamment originale pou ne pas m’ennuyer, elle permit à chacun des musiciens le déroulage de son expressivité en accord avec ses collègues de jeu. Des rythmiques souvent obsessionnelles, ponctuées de brisures, des lignes mélodiques ouvertes sur l’inconnu (un peu de sauvagerie ne nuit jamais), un goût prononcé pour la quête et une once d’humour résument si possible l’esthétique générale de leur petite entreprise, une entreprise en phase avec son époque et celles de leurs prédécesseurs, ce que je ne reproche à personne, soit dit en passant ; puisque passé il y a, pourquoi donc l’ignorer ? Cela n’empêche aucunement de regarder devant. Certes, au gré de leurs tours et détours, je sentis une verdeur juvénile que d’aucuns pensèrent, qui sait, pénalisante ; pour ma part, je la mis sur le compte du bouillonnement qui anime ceux qui ont beaucoup moins de vie derrière eux que devant. Le trio qui leur succéda sur scène fut dans la même veine bien que leur expérience fut plus grande. Les frères Ceccaldi et Guillaume Atkine étant plus rodés, il fut auditivement compréhensible que je ressentisse une différence notable plus précisément due au privilège que l’expérience précitée leur confère. Avec un projet centré (si je puis dire) sur Django Reinhardt, les trois virtuoses démontrèrent ce que j’indiquais plus haut dans ces lignes : s’émanciper est un art qui n’est pas à la portée de tous. Eux le maîtrise avec une science qui me parut, par moment, illimitée. Qu’ils collèrent ou non à la musique de la cultissime icône ne changea rien à l’affaire. Ils éclaboussèrent la salle de leur créativité avec une homogénéité dans le propos au moins égale à leur inventivité comme à leurs désirs exploratoires ; de quoi ravir les spectateurs (moi compris) et donner une image exacte de Jazz Campus en clunisois, celle d’un festival qui cultive, depuis plus de quatre décennies, un goût immodéré pour la libre curiosité, l’aventure et les talents multiples. Vous m’en remettrez deux doigts, comme disait l’autre. C’était un 24 août, jour qui vit, en 1789, la création de l’article 11 de la déclaration française des Droits de l’Homme et du Citoyen, article relatif à la liberté de la presse. C’est extra ça, c’est aussi le jour de naissance de Léo Ferré, bien que ce même jour, mais de l’année en cours, Charlie Watts choisit de s’éloigner ad vitam aeternam de ses fûts. Mais a-t-il vraiment choisi ? Je lui poserai la question un jour (lointain, s’il vous plaît).