Samedi 04 mars 2023

Je partis l’autre samedi soir dans mon carrosse au Crescent. J’arrivai frais comme un gardon qui a fait la sieste, prêt à causer le coup avec les habitués, mon pote Marc, bref je fis dans le convivial, ce pour quoi j’étais venu entre autres choses (si ces dernières ont un rapport avec le jazz). Mais il se passa un truc pas net, un de ces événements bizarres autant qu’étranges qui me firent douter du bien fondé de ma réalité. Et quand le concert commença, je crus que j’étais monté dans une DeLorean et que je faisais un retour vers le futur, celui d’avant. Un jeune gars au piano (Pablo Campos, aux origines basque et argentine), accompagné par deux jeunes gars (Viktor Nyberg, contrebassiste suédois et Philippe Maniez, batteur franco américain), entama son set avec un morceau d’Horace Silver, façon Oscar P. des grands jours (avant l’Avc quoi). Le bougre était sacrément convaincant. Et quand au deuxième morceau il se mit à chanter, je pensai qu’une faille spatio-temporelle foutait le bordel dans mon présent. Et comme par la suite le trio turbina autour de Nat King Cole, de Peggy Lee, Billie Holiday et d’Armstrong, en passant par la case West side story et quelques autres du même tonneau, je songeai que je voyais pour la première fois un chanteur pianiste de jazz et un pianiste chanteur de jazz (malgré une recherche approfondie dans les neurones qui demeure actifs dans mon cerveau). Les chanteurs de jazz ne sont pas si nombreux de nos jours et moins encore ceux qui privilégient un monde oublié. Mais les pianistes chanteurs… alors là, je bloquai. En creusant plus encore dans le passé du jazz, à part feu le père de feue Natalie Cole, je n’eus pas la queue d’une idée (Ray Charles, ce n’est pas du jazz), hormis feu Freddy Cole, frère et oncle des précités, dont la carrière fut honorable sans plus bien qu’elle fit long feu. Ceci écrit, le trio me la fit donc à l’ancienne et chacun y alla de son solo entre des chorus résolument efficaces. Pleins d’entrain et visiblement affûtés, les trois musiciens ne laissèrent pas une minute aux plus anciens pour aller pisser, entracte excepté. Seule dérogation à ce jazz vitaminé, une reprise d’un titre des Frères Jacques, « la lune est morte », dans la version du trio Esperanza. Une belle chanson poétique et triste se référant à l’arrivée des américains sur la lune, des vilains qui piétinèrent le rêve avec de gros godillots. Question de point de vue. D’autres rêves naquirent alors. La soirée fut fort appréciée par un public nombreux et j’en fis partie. Comme quoi, si ce n’était pas mieux avant, le swing pur et doux fonctionne malgré tout. Est-ce dû à la moyenne d’âge du peuple d’auditeurs jazzeux ? Je n’en sais fichtre rien et je m’en fous, pire qu’un rossignol sur son fil regardant passer un avion de chasse en attendant Godot. Et tout ça un 04 mars qui vit naître en 1678 il prette rosso (le prêtre roux), également appelé Antonio Vivaldi, compositeur certes éminemment génial mais qui n’a rien à voir avec la conception des pneus quatre saisons. Enfin, je pense.


Pablo Campos : piano, chant
Viktor Nyberg : contrebasse
Philippe Maniez : batterie


https://www.pablocampos.fr
www.lecrescent.net