Samedi 11 mars 2023

La Suisse existe toujours. Malgré le confinement et quelques fadaises personnelles, le temps ne s’est pas arrêté (chez les helvètes, quelle autre catastrophe pourrait survenir ?) et le Chorus nous accueillit ma fille et moi, bien que le temps ait passé, comme de coutume en ce samedi 11 mars qui vit par le passé (1674) la prise de Vesoul par le Duc de Navailles. Faut sacrément s’emmerder sur terre pour aller prendre Vesoul, même par derrière. Remarquez, en 1598, les ibères prirent bien Amiens. Les cons ! S’il avait put demeurer dans cette bourgade jusqu’à nos jours, ils nous auraient possiblement évité une réforme de merde. Et qui dit réforme dit grève et autre bordel, ce qui eut son influence sur le concert de Giovanni Mirabassi puisque Guillaume Perret fut transformé en naufragé voyageur et n’arriva chez les vaudais, après moult péripéties, qu’à l’heure où le concert aurait dû débuter. Qu’à cela ne tienne et l’improvisation étant le nerf du jazz (laissons les bœufs à leurs affaires), le premier set fut raccourci et effectué en trio, histoire que le saxophoniste reprit son souffle, un truc utile en la circonstance. Le second set fut conséquemment rallongé et sa playlist s’attacha à présenter le disque réalisé par le quartet, The swan and the storm, disque dédié à la ville d’Odessa par son concepteur bien avant que l’abruti du Kremlin sème la terreur. Dans les deux parties de soirée, la bonne humeur et la générosité furent de mise. Le pianiste, qu’il interprétât ses compositions ou un standard très evansien, démontra comme à son habitude ce qu’est l’élégance pianistique et comme elle se nourrit et s’enrichit d’elle-même avec l’expérience et, on le savait déjà, une indéniable originalité native. Guillaume Perret, en version zéro point zéro, acoustique quoi, mit la puissance de son phrasé et son talent au service du quartet et il fut intéressant de voir comment les deux co-leaders de fait surent porter l’ensemble. Avec un Lukmil Perez toujours aussi solide derrière les fûts et un Clément Daldosso dans une veine identique et bien accroché à sa grand-mère, le quartet avala la soirée goulûment et le public s’en régala. Sur le sujet, je notai que le club était plein comme un œuf, ce qui est régulièrement le cas comme on me le confirma. De retour vers ma grotte, entre quelques nuages pluvieux et à l’heure où la campagne n’en peut plus de noircir, il me vint une extravagante idée. Ne pourrait-on pas organiser des bus de migrants suisses du jazz pour remplir les clubs français à la peine ? Nous aurions peu à donner en échange, hormis l’argent de quelques puissants. Mais pour l’amour du jazz, le nationalisme s’effacerait-il un temps ? L’internationale des amoureux du jazz, ça aurait de la gueule. Elle se déplacerait en bande, goûterait les produits locaux et, plus que tout, donnerait un sentiment d’appartenance au monde à tous les musiciens qui souvent jouent pour trois péquins et deux tondus (sous prétexte que la reconnaissance médiatique les ignore). Voilà ce à quoi je pensai en roulant entre les montagnes. J’aurais mieux fait de mon souvenir que ma fille et moi avions assisté à un très beau concert, un de ces moments de vie musicale pétillante où, envers et contre tout, les astres s’alignent afin que le meilleur survienne. La vie comme on l’aime quoi, et un 11 mars, jour où l’on fête les Rossinante ; un signe pour tous les Don Quichotte se battant à travers les âges contre les moulins de l’inculture. Entonnons donc Le chant des partisans, nom de Dieu !


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