Clap de fin pour l’organisateur et programmateur du jazz depuis 5O ans dans l’enceinte du théâtre de Caen -dont 30 Nuits du jazz au compteur- qui comblait alors un vide quasi abyssal du jazz dans cette bonne ville de Caen. Michel Dubourg avait donc concocté une dernière affiche contrastée pour sa dernière Nuit dédiée aux musiciennes de jazz.

En inversant l’ordre de passage initial, la jeune saxophoniste new-yorkaise Lakecia Benjamin animait la première partie de cette soirée. Elle ne manque pas d’allant. Il faut dire qu’avec une rythmique aussi musclée (Oscar Perez au piano, Elis Bailey à la contrebasse Ej Strickland à la batterie), il ne vaut mieux pas faire dans la dentelle ; d’où l’énergie décuplée de cette héroïne du soir. Haranguant les spectateurs, encourageant ses musiciens, déclamant ses textes, elle mettait le feu à la scène. Showwoman incontestable, saxophoniste impressionnante ; chaque titre est l’occasion d’improvisations débridées (son interprétation, en revanche, du célèbre thème popularisé par John Coltrane My favorite things virait plus au massacre qu’au sacre) et pour ceux que ses accents free pouvaient à la longue blaser, elle faisait montre de davantage de subtilité dans tel ou tel blues convoqué par ses soins, rappelant ainsi qu’elle a été aussi accompagnatrice de chanteuses ou de chanteurs tel que Stevie Wonder.

Avec le sextette de la chanteuse Gabi Hartmann, c’était le jour et la nuit, le Jour du jazz en quelque sorte.
En dépit d’une transition musicale animée par le quartette de la contrebassiste Clémence Gaudin durant l’entracte, le public-toujours aussi nombreux au rendez-vous- devait trouver ses repères tant ces deux concerts se déployaient à des antipodes musicales. Ce qu’il faisait, comme à son habitude, avec aisance et bienveillance.
Ce retour au calme rendait l’oreille disponible et attentive à la découverte de cette jeune chanteuse déjà encensée par la presse.
On entend des chansons, on cherche le jazz et puis cette petite musique fait son chemin, des voix plus familières à nos oreilles viennent s’entremêler, en premier lieu celle de la chanteuse de jazz canadienne Madeleine Peyroux (c’est le même producteur Jesse Harris qui les découvre l’une et l’autre à plus de vingt ans d’écart), parfois aussi celle de la chanteuse danoise folk-pop Agnes Obel…et puis les références s’éloignent au profit du seul univers de cette formation avec se rythmes latins et africains, pop ou jazz ; les textes personnels apportant encore une note singulière à cette formation hors du commun, sans excès et avec modération.

Autour de minuit, le quartette de Clémence Gaudin reprenait du service au terme de ce second concert avant qu’un "boeuf" ne s’installe avec les musiciens présents pour cette soirée spéciale, sous le regard photographié du jeune Dubourg en contrebassiste d’Impulsion Quartet et la contribution de ses amis musiciens. Avec ou sans "boeuf", on pouvait reconnaître au passage Emmanuel Bex et Emmanuel Duprey, tous les deux pianistes d’origine caennaise et largement conviés, ces décennies passées dans les lieux du théâtre de Caen.

Voilà, « C’était la dernière séquence, c’était la dernière séance… » mais que les amateurs de jazz se rassurent, le successeur en la personne de Ludwig Chenay, actuel directeur adjoint du théâtre et passionné de jazz lui-même va prendre le relais. Il nous confiait que pour l’essentiel, tout en se réservant le soin de quelques aménagements, il poursuivrait la diffusion du jazz dans la droite ligne de son prédécesseur, avec les concerts dans la grande salle, dans les foyers et dans le bar du théâtre. À suivre donc.


Lakecia Benjamin quartet :
Lakecia Benjamin, saxophone alto
Oscar Perez, piano
Elias Bailey, contrebasse
Ej Strickland, batterie


Gabi Hartmann sextet :
Gabi Hartmann, chant guitare
Elaine Beaumont, contrebasse
Bruno Marmey, batterie percussions
Floriant Robin, piano
Abdoulaye Kouyate, guitare
Robby Marshall, saxophone, clarinette


Clemence Gaudin quartet :
Clémence Gaudin, contrebasse
Sébastien Guillaume, violon
Antoine Bouchaud, piano
Martin Mabire, batterie


Photos Stéphane Barthod