Rétrospective annuelle

Les référendums du magazine américain DownBeat sont une très vieille institution, certes discutable, mais qui malgré tout donne un peu la “température” d’un univers qu’on appelle encore le jazz. Ce qui fait que, dans la catégorie des labels, deux compagnies européennes, ECM et Intakt, figurent dans le Top Ten. Sans chercher à comparer, n’étant pas un familier d’ECM, je peux insister sur la qualité, à tous les niveaux, de la production Intakt, de la préparation minutieuse de la séance d’enregistrement et le choix du studio, à la qualité graphique “suisse” du petit album que l’on a entre les mains, et qui contient un livret et un CD – parfois deux – “physique”, lequel objet est destiné à permettre l’écoute de la musique dans les meilleures conditions.
Un petit livre, (A)tonal Adventures retraçant 40 années de productions musicales du label de Zürich créé par Patrik Landolt [1] , vient de paraître en version anglaise : 125 pages pour raconter une histoire exemplaire, remplies de photos-souvenirs.


Mais nulle compagnie ne pourrait prétendre à un tel classement si son “écurie” musicale ne comprenait pas un certain nombre des meilleurs musiciens actuels qui font la qualité de la maison et ont été eux-mêmes récompensés dans leur catégorie. Qu’on en juge :
James Brandon Lewis, N°1mondial dans la catégorie “Rising Star Jazz Artist”, N°1 “Rising Star Composer”, N°2 “Ténor saxophone”. Et une mention pour Chad Taylor dans la catégorie "Percussions".
David Murray. Répertorié dans “Ténor saxophone”, et Marta Sanchez N°3 “Rising Star Piano”.
Ingrid Laubrock. N°3 “Rising Star Big Band”, classée en “Soprano et Ténor saxophones”, et “Composition”. Sans oublier Tom Rainey classé dans “Rising Star Drums”.
Anna Webber. N°1 “Rising Star Ténor saxophone”, N°1 “Rising Star Flûte”, et répertoriée dans d’autres catégories.
Tim Berne. Répertorié en “Alto et Baryton saxophones”.
Angelika Niescier Classée dans “Rising Star Alto saxophone”.
Kris Davis. N°3 “Artiste de l’année” et “Piano”, et Stephan Crump en catégorie “Basse” ; les deux tiers du Borderland Trio.
Sans oublier, en bref, Elias Stemeseder, Alexander Hawkins, David Virelles, Jim Black, Chris Speed… et le vétéran Andrew Cyrille qui ont garni le magnifique et impressionnant catalogue Intakt.

Et savez-vous qui rejoint la compagnie au mois de janvier ? L’immense Joachim Kühn soi-même, ce qui veut bien dire que les meilleurs vont chez les meilleurs.


  Sylvie Courvoisier

La frontière qui sépare la Suisse de la France n’est pas loin, et pourtant rares sont les musiciens helvétiques qui la franchissent, quel dommage ! La grande musicienne et pianiste Sylvie Courvoisier en est presque une exception. Répondant à une commande du festival Sons d’Hiver en 2021, elle a composé six pièces inspirées par l’œuvre du peintre symboliste Odilon Redon. Pour sa réalisation, à côté de son trio qu’elle forme avec Drew Gress (contrebasse) et Kenny Wollesen (batterie, vibraphone), déjà présent sur deux disques, elle a ajouté deux trompettes, et pas n’importe qui, Wadada Leo Smith et Nate Wooley, ainsi qu’un étonnant guitariste, Christian Fennesz qui manipule aussi l’électronique. Tout est question de subtilité, de finesse, d’une certaine fragilité, de maîtrise presque méditée, de descente dans les profondeurs tout comme de l’épanouissement dans un univers onirique qui se déploie sur les six œuvres qui reprennent des titres des tableaux ou des dessins de l’artiste visionnaire proche de l’ésotérisme. Le résultat est magnifique. Il ne fallait pas moins de deux CD pour que s’épanouisse une telle beauté. « Chimaera » (Intakt CD 410).

Changement complet d’atmosphère avec ce solo de piano que nous propose Sylvie Courvoisier : douze compositions dédicacées (comme souvent) et autant d’univers dans ce parcours aventureux, chaussé d’imprévus et de fausses pistes qui surprennent et mobilisent l’attention de l’auditeur. Résonances contre frappes sèches, superpositions de dissonances et de passages lyriques, instrument préparé, jeu sur les cordes, jazz d’aujourd’hui (c’est-à-dire de toujours) et musiques du XXe siècle. Monk, Geri Allen (ne l’oublions pas ! ), Messiaen, Stravinsky, cite Julia Neupert dans ses liner notes. Bien vu. Du grand piano. « To Be Other-Wise » (Intakt CD 429).


  Simone Keller

Nous restons dans le domaine du piano solo avec Simone Keller, une nouvelle venue dans le catalogue Intakt, laquelle a également droit à deux CD pour interpréter des œuvres de compositeurs et compositrices (surtout) américaines pour l’essentiel, peu reconnues et parfois déjà oubliées de leur vivant comme Ruth Crawford Seeger et les Afro-Américaines Julia Amanda Perry et Irene Higginbotham qui a écrit Good Morning Heartache créé par Billie Holiday. Certaines sont d’ailleurs toujours en pleine activité mais leurs partitions sont rarement jouées. D’où l’immense intérêt de ces deux disques, même si pour la plupart, ce ne sont pas des musiciennes ou musiciens de jazz. Sauf Lil Hardin, ex-madame Armstrong, la pionnière bien connue des amateurs. Quelques légères interventions de oud, de trombone ou de basson s’infiltrent dans ce superbe album de piano. À écouter impérativement, aucun risque d’être déçu. « Hidden Heartache » (Intakt CD 419). OUI !


  Marie Krüttli

Troisième pianiste suisse, Marie Krüttli, que nous avions découverte l’an passé et dont le disque en solo nous avait émerveillé, nous propose son nouvel opus, accompagnée par Lukas Traxel (contrebasse) et Gautier Garrigue (batterie). Et nous sommes à nouveau éblouis et captivés, autant par la pianiste que par le trio dont la cohésion dans l’aventure et les prises de risque est étonnante dans les douze compositions personnelles qui garnissent ce disque inventif, swinguant et renversant au possible. Marie Krüttli a choisi de s’installer à Berlin. Dommage qu’elle n’ait pas préféré Paris, elle aurait secoué le ronron rétro et satisfait qu’on nous sert comme étant le sommet de la création ! « Scoria » (Intakt CD 427).


Deuxième disque du trio Sarah Buechi (vocal), Franz Hellmüller (guitare), Rafael Jerjen (basse) plus quelques invités, et sixième de la chanteuse chez Intakt. L’autrice-compositrice nous offre une nouvelle pièce de plus dans ce genre jazz folk, ou folk ballade, aérien et sophistiqué. Un travail très soigné où l’on appréciera la qualité des mélodies et des textes, chantés essentiellement en anglais. Très belles parties de guitare électrique. « Pink Mountain Sagas » (Intakt CD 428).


  Simon Spiess Quit Tree

Autre nouveau venu, le Simon Spiess Quit Tree, jeune trio suisse – Spiess (saxo ténor), Marc Méan (piano, synthé et effets), Jonas Ruther (batterie) – qui développe une fusion entre jazz, électronique, un peu rock bien dans l’air du temps, diffusant une atmosphère douce et brumeuse nourrie d’effets de sampling et de reverb. Soit une musique mélodieuse qui progresse de façon assez enveloppante sur des rythmes saccadés plutôt métronomiques voire répétitifs. « Euphorbia » (Intakt CD 414).


  Ohad Talmor

Autre saxophoniste ténor, Ohad Talmor publie son troisième album, double s’il vous plaît, chez Intakt, et force est de reconnaître qu’il est encore meilleur que le précédent qui lui-même dépassait les promesses du premier. Accompagné par la remarquable paire américaine Chris Tordini (contrebasse) et Eric McPherson (batterie), il s’est attaqué à un monument, Ornette Coleman, sous trois angles : variations sur des compositions d’Ornette et de Dewey Redman, morceaux originaux de ces deux géants, et pièces personnelles dans le même esprit. Tout au long des vingt-quatre plages, d’autres musiciens se joignent au trio comme David Virelles (piano) et Joel Ross (vibraphone). Mais je vous renvoie à la chronique détaillée d’Yves Dorison parue le 19/10/2023 – déjà ! – dont je partage entièrement l’avis et l’enthousiasme. « Back To The Land » (Intakt CD 408).


  The Choir Invisible

Passons en Allemagne avec la saxophoniste alto Charlotte Greve (qui d’ailleurs réside à Brooklyn comme sa consœur Ingrid Laubrock, voir ci-dessous), le grand bassiste Chris Tordini que l’on retrouve avec beaucoup de plaisir, et l’excellent batteur Vinnie Sperrazza. À eux trois ils forment The Choir Invisible dont le précédent disque datait de 2018. Ils présentent chacun trois compositions. La dixième, In Heaven, est tirée du film “Eratherhead” de David Lynch (1982), chantée par Fay Victor, songwriter connue qui a pratiqué toutes les formes, du blues à l’improvisation. Un disque très homogène, bien préparé par des gens qui se connaissent et s’entendent. Le jazz contemporain dans ce qu’il a de meilleur. « Town Of Two Faces » (Intakt CD 417).


  Ingrid Laubrock et Tom Rainey

Si l’on regarde le nombre disques qu’Ingrid Laubrock et Tom Rainey ont réalisé ensemble pour Intakt, on n’en trouve pas un qui soit un duo simple ; il il y a toujours un ou deux invités. Voici donc enfin un “disque de couple”, résultat de longues heures à jouer face à face et dos à dos (voir la pochette) dans leur appartement de Brooklyn durant la pandémie, l’une avec ses saxes (soprano et ténor), l’autre ses percussions. Ils n’avaient aucune contrainte, ils se sont lâchés, si je peux me permettre. Je résultat est là, transposé en disque : l’improvisation libre totalement ouverte et en même temps parfaitement pensée et remarquablement conduite. Pas une once d’ennui ni de décrochement à leur écoute, on entre littéralement dans leur dialogue, dans leur musique. « Brink » (Intakt CD425).


  Stemeseder / Lillinger

C’est à une sorte de retour aux sources, ou plutôt à l’essentiel que se livre le duo austro-allemand Elias Stemeseder (piano) et Christian Lillinger (batterie) avec ce « Umbra II » qui, s’il prend la suite d’un premier « Umbra » avec les mêmes partenaires Peter Evans (trompette et trompette piccolo) et Russell Hall (contrebasse), retrouve la simplicité du quartette de jazz dans un espace hard bop/free. Au sein d’une cohésion exemplaire, les quatre complices livrent une performance assez époustouflante. Si le jeu du trompettiste, qui se joue de tous les “accidents” est particulièrement renversant, tous se situent à un niveau exceptionnel tout au long des treize compositions (dont deux en trois parties) que signent les deux leaders. Il n’est pas anodin que l’enregistrement acoustique ait eu lieu dans les fameux studios Rudy Van Gelder à Englewood Cliffs. Du jazz de haut vol ! «  Umbra II » (Intakt CD 423).


  The Mayfield

The Mayfield, réunit six inventeurs de sons : Gianni Gebbia (saxophones), Heiner Goebbels (piano préparé), Nicolas Perrin (guitare, electronics), Camille Émaille (percussions), Cécile Lartigau (Ondes Martenot) et l’ingénieur du son Willi Bopp. Se crée ainsi, dans un savant désordre, une improvisation collective expérimentale, conjuguant de façon décousue (pour l’auditeur), grincements, frottis, craquements, bruits divers, sirènes, etc., dans un environnement très éclaté. L’enregistrement a été réalisé à Paris durant une résidence à La Muse en Circuit, haut lieu des expériences électroacoustiques où Luc Ferrari s’était installé en 1982. Il n’est évidement pas question de jazz. « The Mayfield  » (Intakt CD 426).


  Marta Sanchez

Jeune pianiste espagnole, Marta Sanchez publie son premier album personnel chez Intakt, accompagnée de Chris Tordini (décidément) à la contrebasse et de Savannah Harris à la batterie, un duo d’accompagnateurs parfait. En suivant le flux très libre qui se déroule tout au long des onze compositions personnelles, délicates et souvent complexes, on ressent fortement le jeu volontaire, lyrique, parfois tourmenté de la pianiste qui fait montre d’une sensibilité à fleur de peau, ce qui n’empêche pas la maîtrise et l’autorité. En l’intégrant dans son quartette, David Murray ne s’y est pas trompé [2] (11/06/2024). Une musicienne à suivre désormais à New York. « Perpetual Void » (Intakt CD 421).


  Alexander Hawkins

Le pianiste anglais Alexander Hawkins a déjà à son actif, six disques pour Intakt tous différents les uns des autres. Le septième confirme sa versatilité, sa curiosité tous azimuts et sa capacité à entrer dans toutes les traditions. Sa partenaire dans cette nouvelle production est la chanteuse suédoise d’origine éthiopienne Sofia Jernberg. Sont ainsi recréés des chants traditionnels éthiopiens, arménien, suédois, anglais plus quelques compositions. Mon absence de compétence m’invite à vous reporter sur les liner notes de David Toop qui vous en apprendront beaucoup. Ce qui ne m’empêche pas de signaler que j’ai beaucoup apprécié les chants étonnants contenus dans ce bel album, sans parler de la pertinence du jeu du pianiste. « Musho » (Intakt CD 420).


  Anna Webber

À présent, il est temps de franchir l’Atlantique pour atterrir d’abord au Canada et rencontrer la saxophoniste ténor et flûtiste Anna Webber qui a réalisé son premier disque pour Intakt à la tête d’un quintette comprenant Adam O’Farrill (trompette), Mariel Roberts (violoncelle), Elias Stemeseder (cette fois au synthétiseur), et Lesley Mok (batterie). La musique composée par Anna Weber est assez étrange, même si elle s’inscrit dans le domaine tonal. Elle s’en explique dans la présentation sur sa façon de jouer sur la polyrythmie, les intervalles, les pitches, les tonalités, les superpositions, les mixages... Bref, il s’agit presque d’un travail scientifique plutôt que de trouvailles sonores spontanées. Le son d’ensemble, assez ample, contribue à l’atmosphère enveloppante, voire spatiale, et à la richesse de la musique. « Shimmer Wince » (Intakt CD 407).


Retrouvons Anna Webber avec son Simple Trio, fondé en 2014 et qui comprend ses acolytes Matt Mitchell (piano) et John Hollenbeck (batterie), valeurs sûres s’il en est et parfaitement en osmose avec la musique très élaborée de la saxophoniste-flûtiste – dix compositions personnelles. Ce format plus restreint ne remet aucunement en cause le climat étrange et la tension qui se dégagent dès l’entame, bien au contraire. L’écriture formelle très originale, qui joue sur les décalages rythmiques et les variations harmoniques, permet à Webber de dérouler son jeu puissant et résonnant, servi par un son ample au ténor avec lequel elle déroule un jeu souvent linéaire, apparemment sans accrocs mais avec une inventivité dans la conduite du discours qui nous laisse pantois. Même chose pour la flûte et la flûte basse admirablement maîtrisées. Inutile d’insister sur la pertinence et la complicité qui animent ses deux partenaires. À écouter absolument : un disque de jazz, eh oui ! d’un intérêt majeur pour notre époque. « Simpletrio2000 » (Intakt CD 430).


  Borderlands Trio

Le troisième album (double CD à nouveau) du Borderlands Trio a été réalisé de la même façon que les précédents : les trois musiciens arrivent chacun de leur côté, s’installent, règlent le son et jouent… Apparemment rien de plus simple. Mais quel “simple” trio piano-basse-batterie pourrait obtenir un tel résultat musical en n’ayant rien préparé à l’avance ? Stephan Crump (contrebasse), Kris Davis (piano) et Eric McPherson (batterie) sont des adeptes de la composition spontanée. L ur musique est totalement expérimentale – bien plus qu’on ne le croit – mais pas destructrice. En fait elle s’inscrit dans ce que le jazz a toujours produit de plus pur. Ils sont à l’avant-garde de son évolution et n’ont pas besoin d’aller piocher à droite et à gauche pour faire croire qu’ils font du neuf. Dès les premières notes, ils se concentrent et s’écoutent, puis entament une progression plus ou moins longue, travaillant en légèreté, en subtilité, en finesse, en précision dans une qualité d’échanges exceptionnelle, n’hésitant pas à installer le tempo : la walking bass de Stephan sur laquelle Kris verse une pluie de notes cristallines. Chacun sait aussi s’arrêter pour laisser à l’autre de l’espace pour proposer une future piste. Les trois font un triangle, dit en substance Ulrich Stock dans ses notes. Bref, l’art du trio à son plus haut point. « Rewilder » (Intakt CD 416).


Née à Singapour en 1981 d’un père britannique et d’une mère suédoise, Caroline Davis est arrivée aux États-Unis à l’âge de 6 ans. La famille s’installe d’abord à Atlanta, puis à Carrollton (Texas) où Caroline commence à étudier la musique et choisit le saxophone alto. C’est en 2003 qu’elle gagne Brooklyn et devient véritablement professionnelle. Six disques sortent sous son nom dont le dernier, « Portals Vol.1 : Mourning » (Sunnyside) précède ce second volume qui paraît chez Intakt. Pour ce faire, elle a réuni un quintette “classique” avec Marquis Hill (trompette), Julian Shore (piano), Chris Tordini, décidément indispensable (contrebasse) et Allan Mednard (batterie). S’ajoutent suivant les douze plages, quatre vocalistes et trois instrumentistes dont la flûtiste Nicole Mitchell. Ce disque, qui n’a pas de ligne musicale bien définie, est avant tout un hommage à sa grand-mère poétesse Joan Anson-Weber dont elle a mis en musique six poèmes, en ajoutant deux de sa plume. Ce travail très personnel dégage une belle atmosphère et un bel esprit. Prendre le temps de bien l’écouter. « Portals Vol.2 : Returning » (Intakt CD 424).


  Elliott Sharp - Sally Gates - Tashi Dorji

Il y a des guitar heroes, il y en a même à la pelle, dans tous les genres : rock, blues, metal, etc.. En général ils font beaucoup de bruit et alignent les clichés. D’autres ont choisi une voie plus exigeante. C’est le cas de Fred Frith par exemple, ou d’Elliott Sharp que l’on retrouve ici en compagnie de deux guitaristes plus jeunes qui n’ont pas le même bagage : Sally Gates, Néo-Zélandaise installée à New York – son background est le metal et la free improvisation, peu le jazz – et Tashi Dorji, originaire du Bhoutan – intéressé par Derek Bailey, mais déployant une énergie punk ou metal. Ajoutons qu’ils n’ont jamais joué ensemble avant d’entrer dans le studio. Sharp avait déjà réuni un trio de guitares avec Mary Halvorson et Marc Ribot, celui-ci est très différent. Il comprend huit improvisations libres, et deux dirigées par Sharp. Certes, on se frotte aux “brouillages” sonores mais les musiciens, réactifs, entremêlent leurs jeux et tissent des trames plus fines qui se combinent comme des patchworks. À l’arrivée, un disque plus varié qu’on pourrait penser et qui n’intéressera pas que les amateurs de décibels. « Ere Guitar » (Intakt CD 418).


  Sunny Five

Restons dans la guitare, mais autour d’un sax alto, celui de Tim Berne qui n’a pas craint de naviguer au milieu d’un fort volume sonore : Marc Ducret (guitars, table guitar), David Torn (electric guitar, live multi-looping), Devin Hoff (electric bass) et Chris Smith (drums, electronics) – le lecteur traduira – tous membres à égalité de ce Sunny Five. Quatre improvisations collectives, dont la dernière de 35 minutes assez phénoménale, lui permettent d’affronter les éléments avec plus ou moins de bonheur. Comme il ne porte pas ses compagnons, on le sent parfois noyé, mais lorsqu’il surnage ou est porté par la vague, comme dans la seconde pièce (18 minutes), où il effectue un parcours de toute beauté bien entouré par ses solides équipiers. « Candid » (Intakt Cd 415).


Les précédents CD de la plupart des artistes présentés ci-dessus sont à retrouver dans les revues suivantes (à partir de 2018, mais on peut remonter jusqu’en 2012) :


[1Récemment auréolé du Prix d’honneur 2025 de la Deutsche Schallplattenkritik. Ce prix est décerné chaque année à des personnalités exceptionnelles qui ont apporté une contribution particulière à l’enregistrement musical sur des supports audio et vidéo en tant qu’interprètes, artistes ou producteurs. En 2022, Patrik Landolt s’étant retiré et a passé le relais à Florian Keller, Anja Illmaier, Fiona Ryan et Ariane Pollo.

[2Les trois disques qui manquent dans cette rétrospective annuelle figurent dans notre revue “Great Black Music toujours et maintenant” mise en ligne le 11/06/2024. Il s’agit de James Brandon Lewis, David Murray et Angelica Sanchez/Chad Taylor.