Le label ECM que dirige Manfred Eicher poursuit imperturbablement son activité d’édition. Voic quatre nouveautés du secteur "jazz".
Au fil des années, depuis 1969, le label munichois E.C.M. (Edition of Contemporary Music) a construit sa renommée sur la revendication d’une identité spécifique sur le plan musical et visuel. Si ce label a une telle réputation aujourd’hui, c’est queManfred Eicher est ses compagnons de route ont toujours accordé une grande importance à la promotion dans la diffusion de leurs productions.
C’est ainsi qu’à Paris comme en d’autres endroits du Globe, une équipe fait en sorte que les disques du label soient connus du grand public par le biais des médias. Il est donc important braquer les projecteurs sur ces indispensables chevilles ouvrières, ces travailleurs de l’ombre que sont Marie-Claude Nouy, responsable experte du label ECM en France et François Guyard en charge la promotion [1]. C’est aussi grâce à leur travail et à leur disponibilité que du label ECM poursuit sa route en essayant de braver au mieux les tumultes d’une période difficile pour l’industrie du disque.
En voici un échantillon : quatre disques tout frais sortis des presses et désormais disponibles chez votre disquaire favori.
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Ce nouveau disque de Norma Winstone nous glisse dans un espace très poétique, dessiné avec une grande sensibilité.
Si on se laisse envoûter par la poésie paisible et naturelle de la chanteuse britannique, c’est qu’elle se place dans le contexte d’un trio aux voix entremêlées : son chant s’imbrique parfaitement dans le jeu de ses complices. Pour Stories Yet To Tell, Norma Winstone reste fidèle à la formule du trio. Comme dans le précédent disque, Distances, le pianiste italien Glauco Venier brode des harmonies en touches légères et colorées et le saxophoniste-clarinettiste allemand Klaus Glesing suit attentivement la voix qu’il souligne, accompagne en sachant explorer des espaces de liberté.
À l’écoute de ce disque, on se souviendra inévitablement de Norma Winstone dans le trio Azimuth avec le pianiste John Taylor et Kenny Wheeler à la trompette, une formation culte du label ECM, de la fin des années 70 au début des années 90.
Avec le temps, la voix a conservé sa délicate fraîcheur et Norma la conteuse nous conduit dans son univers sensible. On ne résiste pas à son invitation : cette musique en demi teinte préfère la pureté au clinquant de pacotille, ce qui ne peut que nous séduire.
Dans sa stature et sa posture de leader, Michael Formanek pourrait évoquer Charlie Mingus ; une manière de faire sonner la contrebasse, de la prendre à bras le corps pour sentir au plus près la vibration des cordes sur le bois... Mais aussi parce qu’il a un vrai talent d’un rassembleur qui ne convoque pas des musiciens mais réunit des amis et les laisse évoluer dans un cadre harmonique et mélodique qu’il a conçu pour l’échange. Et là, le casting de ce quartet promet de bien belles choses... On n’est pas déçu !
Inspiré et concentré, le saxophoniste Tim Berne retrouve naturellement Michael Formanek : ils jouent ensemble depuis presque 20 ans dans ses propres formations. Les chemins de Craig Taborn et de Gerald Cleaver se croisent fréquemment : l’un et l’autre sont très actifs sur la scène des musiques dites créatives. Leur disponibilité et leur esprit d’ouverture les mêlent à bien des projets sur les scènes américaines et européennes.
La cohésion de ce quartet se remarque rapidement. L’écriture du contrebassiste permet de diversifier les modes de jeu en s’inscrivant dans les "conventions" du jazz mais en bousculant quelque peu les habitudes. On remarquera tout particulièrement la place accordée au piano qui va de l’ostinato pointilliste (Twenty Three Neo) à des cascades de notes et d’accords qui donnent une dimension orchestrale aux compositions de M. Formanek. Craig Taborn est, une fois encore, éblouisssant !
Pour son premier disque en leader sur le label E.C.M., Michael Formanek, musicien d’expérience, présente une musique vivante, inventive, exigeante mais jamais austère dès lors qu’on l’écoute avec un peu d’attention. Au final, The Rub and Spare Change est un très beau disque servi par un quartet de premier ordre.
Ce trio prouve une fois de plus que le jazz du XXIè siècle rassemble par delà les frontières et les cultures. Le point de rassemblement, le creuset se situe le plus souvent à New-York. Comme dans les contes de fées, La "Grosse Pomme" est un élément magique qui attire les jazzmen (et women)...
Dans le rôle de Cendrillon, la pianiste israélienne au doigté limpide, Anat Fort, a rencontré le contrebassiste américain Gary Wang et le batteur allemand Roland Schneider pour son second disque ECM enregistré à Oslo. Les voyages forment la jeunesse, dit-on... et ces jeunes-là ont le talent d’élèves brillants d’écoles renommées qui ont aussi écumé clubs, studios et autres lieux en quête d’échanges et de contacts authentiques, dans l’action.
Il est amusant de constater que Manfred Eicher enregistre aujourd’hui une pianiste qui appartient à une génération de musiciens qui a avancé vers le jazz en écoutant les artistes du label E.C.M. : Keith Jarrett, Paul Bley, Paul Motian. Cependant, si elle a beaucoup appris de ses maîtres (élève de Paul Bley, elle a compris l’importance de l’espace et du silence), son jeu sensible, son toucher précis et aérien en font une instrumentiste de grande classe qui possède l’envergure d’un leader. En cela, elle doit beaucoup Paul Motian, son batteur/leader fétiche auquel elle dédie un thème en deux parties.
Après Rabo de Nube, enregistré en concert, Mirror est le premier disque en studio d’un quartet qui a fait forte impression. De prime abord, le répertoire semble assez familier pour qui suit la carrière de Charles Lloyd depuis quelques années : standard, spirituals (ça devient une habitude), un passage du côté de chez Monk (inévitable quand le pianiste se nomme Jason Moran !), des compositions originales et, plus surprenant, une reprise des Beach Boys (Lloyd œuvra jadis auprès des célèbres plagistes californiens !).
Que nous transmet ce miroir ? L’image d’un sexagénaire qui n’a certes plus la même virulence que jadis. Le son perd en densité ce qu’il gagne en sensibilité : une sorte de fragilité qui émeut un peu plus qu’auparavant. On y voit (et entend) aussi une formation soudée par une grande connivence. La rythmique Eric Harland - Reuben Rogers est unie par une riche expérience commune qui lui permet de partager la quête mi-mystique, mi-musicale du maître.
Charles Lloyd qui s’y connaît en pianistes (Jarrett, Petrucciani, Geri Allen on fait un bout de chemin avec lui) a trouvé un accompagnateur singulier en la personne de Jason Moran. Le piano évolue ici avec une grande liberté. En digne héritier de l’art de Thelonious Monk, Moran tire la musique du quartet d’une possible monotonie. Ses phrases musicales syncopées, les notes incisives qui ponctuent son discours dynamisent l’ensemble. Il agit comme la mouche du coche en quelque sorte, en électron libre à énergie maîtrisée qui ne dérape jamais...
Un disque sans grandes surprises dans la continuité du cheminement de Charles Lloyd vers une forme de sagesse mise en mots dans Tagi. On l’écoutera attentivement et avec grand plaisir comme un vrai disque de jazz joué avec un feeling remarquable.
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> Norma Winstone : "Stories yet To Tell" - ECM 2158 - distribution Universal Music France
Norma Winstone : voix / Klaus Gesing : clarinette basse, saxophone soprano / Glauco Venier : piano
01. Just Sometimes / 02. Sisyphus / 03. Cradle Song (Hoy Nazan) / 04. Like A Lover / 05. Rush / 06. The Titles / 07. Carnera / 08. Lipe Rosiže / 09. Among The Clouds / 10. Ballo furlano / 11. Goddess / 12. En mort d’En Joan de Cucanh
Enregistré à Udine (Italie) en décembre 2009.
> Michael FORMANEK : "The Rub and Spare Change" - ECM 2167 - distribution Universal Music France
Tim Berne : saxophone alto / Craig Taborn : piano / Michael Formanek : contrebasse, compositions / Gerald Cleaver : batterie
01. Twenty Three Neo / 02. The Rub And Spare Change / 03. Inside The Box / 04. Jack’s Last Call / 05. Tonal Suite / 06. Too Big To Fail
Enregistré à New-York en juin 2009.
> Anat FORT Trio : "And if" - ECM 2109 - distribution Universal Music France
Anat Fort : piano / Gary Wang : contrebasse / Roland Schneider drums
01. Paul Motian (1) / 02. Clouds Moving / 03. En If / 04. Some / 05. Something ‘Bout Camels / 06. If / 07. Lanesboro / 08. Minnesota / 09. Nu / 10. Paul Motian (2)
Enregistré au Rainbow Studio d’Oslo en février 2010.
> Charles LLOYD Quartet : "Mirror" - ECM 2176 - distribution Universal Music France - disponible en octobre 2010 !
Charles Lloyd : saxophones ténor et alto, voix / Jason Moran : piano / Reuben Rogers : double-bass / Eric Harland : drums
01. I Fall in Love Too Easily (For Lily) / 02. Go Down Moses / 03. Desolation Sound / 04. La Llorona / 05. Caroline, No / 06. Monk’s Mood / 07. Mirror / 08. Ruby, My Dear / 09. The Water Is Wide / 10. Lift Every Voice And Sing / 11. Being And Becoming, Road To Dakshineswar With Sangeeta / 12. Tagi
Enregistré en décembre 2009.
> Liens :
ECM Player pour en savoir plus et écouter des extraits :
Sites des artistes :
[1] François Guyard a succédé l’an passé à Sébastien Belloir, lequel a décidé désormais de travailler autrement, sans quitter pour autant le monde de la musique et du jazz en particulier.