"La musique et l’art : une façon d’apprendre sur soi."

Interview au collège lors du deuxième concert de "LS Jazz Au Collège", à Lyon.

> Lyon, vendredi 02 décembre 2011

Propos recueillis par Agathe Eline Gaillard & Chloé Meyer

Quelques repères biographiques ?

Je viens du Danemark. J’ai passé deux ans en Afrique, au Kenya, quand j’étais petit. J’ai fait mes études aux États-Unis. Ma mère est anglaise et, comment dire, je me sens très européen, bizarrement.

> Multi-culturel quoi ?

Oui. Je ne me sens pas vraiment danois, sûrement pas français, pas américain non plus.

> Vous vous sentez à la maison partout, en fait.

On peut le dire comme ça. Quelquefois, je me sens chez moi partout. D’autres fois, je me sens étranger partout. Cela dépend des jours.

> Comment se fait-il que vous ayez déménagé en France ?

Hasse Poulsen
Lyon, 02 décembre 2011

Pourquoi en France ? Parce que je viens d’un tout petit pays de cinq millions d’habitants, le Danemark, dont une grande partie de la population est concentrée sur la capitale et ses environs, et que dans le milieu de ma musique, le jazz d’aujourd’hui, tout le monde se connaît. C’est trop étroit et on a l’impression de ne pas pouvoir aller au-delà d’un certain point, aussi bien au plan artistique qu’en termes de carrière. Mais à l’origine, je suis parti car j’ai été viré de mon appartement ! Le propriétaire voulait doubler le loyer. Je n’étais pas d’accord. Il est venu avec deux Hell’s angels et m’a jeté dehors avec mes meubles ! Pour être sûr que je ne revienne pas, il a fait tout casser et changer les serrures. Je me suis retrouvé sans appartement et c’est là qu’un ami m’a proposé un studio à Paris.

Là, j’ai tout de suite rencontré des musiciens importants de ma génération. En particulier Benoit Delbecq qui m’a introduit auprès d’autres musiciens. Tous m’ont invité à jouer sur des concerts. J’ai constitué de la sorte le milieu que je n’arrivais pas à avoir au Danemark et qui me convenait parfaitement. J’ai aussi été demandé par des musiciens, Sylvain Kassap d’abord, puis Louis Sclavis.
Le septet et le quartet avec Louis ont été très importants pour moi. J’ai compris avec lui comment faire un projet pointu, très artistique, en incluant le public. Ce n’est pas tout le monde qui réussit cela.
Ça a été une bonne école. Louis parle souvent d’Henri Texier auprès de qui il a appris cette façon de faire. J’ai constitué depuis pas mal de groupes, plus ou moins éphémères, en fonction des possibilités offertes pour jouer. Aujourd’hui, le plus ancien a une vingtaine d’années, mais je vais peut-être le dissoudre car nous avons peu de dates.
À l’inverse, le groupe Das Kapital marche très bien. Nous avons déjà joué un peu partout dans le monde et c’est très agréable.

> Vous aimez la diversité.

Oui, on accumule des expériences ainsi. J’aime beaucoup les saxophonistes, les batteurs. Donc la plupart des groupes avec lesquels j’ai joué avaient des saxophonistes et des batteurs !
La contrebasse est un instrument difficile pour moi, mais je joue cependant dans le groupe d’Hélène Labarrière et il y a un contrebassiste dans mon quintet. Je devrais aussi monter un trio guitare / basse / batterie d’ici un an, un an et demi, avec Bruno Chevillon et un batteur espagnol.

> Vous tournez plus particulièrement dans quels pays ?

Surtout l’Europe. Très peu dans les pays scandinaves. Cette année, c’est surtout l’Allemagne et la Belgique. L’Autriche est en train de s’ouvrir. Par le passé, il y a eu l’Angleterre. Il y a également le Canada, la Russie, le Kirghistan, le Kasakztan.
Nous bénéficions actuellement d’une aide du Goethe Institut, l’institut culturel allemand qui existe un peu partout dans le monde. Il y a à venir des invitations au Mexique, à Singapour, en Amérique du Sud.
Très peu en France paradoxalement.
Je vais même faire une création avec un groupe français à Berlin. C’est comme ça. Cela change avec les années. Je fais un métier bizarre. Il faut suivre le cours des événements, aller là où c’est possible.

> Avez-vous commencé la musique par la guitare ou aviez-vous un autre instrument ?

J’ai commencé par le violon. Je n’aimais pas du tout cet instrument. Je ne le comprenais pas. Pour moi c’est un instrument fait pour jouer une musique qui est liée à une tradition très bourgeoise, une culture de la "bonne musique" et de tout ce qui va avec. Cela ne me disait rien du tout. J’avais un peu près treize ans quand j’ai commencé la guitare et le jazz.

> Avez-vous d’autres passions ?

C’est une très bonne question. J’ai l’impression qu’avec les années cela se rétrécit.
Quand on est jeune, que l’on sort de l’école, le monde est si grand que l’on a envie de tout faire, de tout voir, dans tous les arts, de tout savoir. Mais au fur et à mesure que le temps passe, je m’aperçois que ma vie de musicien est si exigeante que j’ai peu de temps pour le reste. Il faut produire des disques, convaincre les programmateurs, faire vivre les groupes. Je n’ai pas de hobby, en fait.
Je vois tout à travers le jazz, dans la perspective de l’art, de la musique. C’est comme ça, c’est un défaut. J’aimerais bien m’intéresser à autre chose.

> Y a-t-il un CD dont vous êtes fier ?

Je suis fier de tous mes disques.
Je ne les réécoute pas.
Mais tous font partie d’une période de travail qui correspond à un groupe avec lequel j’ai voulu finaliser notre recherche artistique. On enregistre pour se libérer.
Tant que ce n’est pas fait, cela reste en suspens. C’est pour cela que l’on fait des CD. C’est comme un peintre avec ses tableaux qui va travailler une certaine thématique, pendant un temps donné, avant de passer à autre chose quand il est satisfait du résultat artistique.
Nous ne sommes pas dans la variété très médiatisée où les disques permettent de mettre en valeur une personne avec des moyens énormes pour qu’elle rapporte encore plus d’argent.

> Où puisez-vous votre inspiration ? Uniquement dans le jazz ?

Non dans tous les styles de musique. Là encore je fonctionne par période. On est quelquefois ouvert sur tout et, à d’autres moments, on se replie sur un style en particulier que l’on va approfondir.
Mais c’est bien de tout écouter.
J’habite à Paris et c’est bon pour l’inspiration car tous les musiciens du monde passent par cette ville. On est tout le temps au contact de la nouveauté. Cette possibilité donne beaucoup d’idées. Aussi pour moi, l’inspiration vient quand je travaille l’instrument. En travaillant la technique, je m’aperçois qu’elle me mène très vite vers des compositions. C’est souvent en s’exerçant sur quelque chose de difficile que ça arrive.
L’inspiration vient souvent des problèmes que l’on rencontre. Je pense que dans l’art, comme dans la vie d’ailleurs, on apprend des difficultés qui surviennent en rentrant dedans. Il est important dans la vie de voir les choses en face. Pourquoi j’aime ça, pourquoi je n’aime pas cela ? Il faut se poser la question. Ça c’est raté. Pourquoi est-ce raté ? Comment réagir ? Quelquefois c’est réussi et, autour de toi, tout le monde te dit que c’est génial quand toi tu trouves que c’est raté !
En faisant face, dans cette sorte de confrontation, on apprend beaucoup sur soi-même. La musique et l’art sont une façon d’apprendre sur soi. Jouer pour la première fois ensemble, comme ce soir, c’est une façon d’apprendre. Et j’espère que vous, en face, vous aurez le temps de vous investir, de vous concentrer, afin que cela vous apporte quelque chose. Que la musique vous paraisse intéressante ou ennuyeuse, bizarre peut-être, elle vous donnera une autre oreille, une oreille qui vous permettra ensuite, lors d’un autre concert, d’avoir une autre écoute et, à chaque fois, d’apprendre quelque chose sur vous-mêmes, sur la musique, sur la vie. Pour moi, c’est le rôle de l’art.
Je ne viens pas pour montrer que je joue bien de la guitare. Ce n’est pas là l’important. Et de toute façon, on ne joue jamais assez bien !

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