« Bel air for piano » par le Hervé Celcal Quartet au Sunside (Paris - 75001) le jeudi 29 mai.
« Bel air for piano » - Hervé Celcal Quartet au Sunside (Paris - 75001) - Jeudi 29 mai
La Martinique on en a ce qu’on nous en montre, hors événement extraordinaire ose-t-on dire, images d’Épinal surexploitées : plages, vacances, singularismes de surface, malaises sociaux, pastiches. Certes on sent presque les alizés, le parfum des épices ou celui de la forêt tropicale. En poussant un peu plus loin, pour qui veut prendre le temps, on peut en avoir quelques idées plus précises grâce à la musique de la langue, à la littérature, à la créolité, l’universel cher à Aimé Césaire.
La culture voilà la grande affaire qui donne son identité, loin de la litanie, à une île et à ses habitants, à sa musique.
Le Bèlè :
Le bèlè, né dans les mornes de l’ile de la Martinique après l’abolition de l’esclavage, est avant tout un art du vivre ensemble, le partage de valeurs de solidarité et d’entraide, d’une résistance, d’un renouveau culturel qui mêle musique, danse et conte. Il est, comme bien souvent dans l’espace-Amérique, le lieu de la mémoire ressuscitée, du métissage, de l’apprentissage qui structure, tisse et suture : tissu des traditions africaines longtemps interdites qui ressurgissent à la lumière, de quelques traditions européennes imposées et absorbées, religions au sens le plus large, traditions immémoriales autochtones enfouies dans le pli des paysages.
Peut être se cache-t-il même dans le balancé des démarches ?
Quoiqu’il en soit il est le résultat d’une culture qui s’appelle patrimoine, d’un syncrétisme, d’un mouvement à peine perceptible sorti de terre, venu de et par la mer et porté par ses habitants.
N’étant pas un spécialiste du Bèlè, à part ce qu’on peut en lire sur l’espace-monde du web (voir ci-dessous les liens) et si recul ne veut pas dire défiance de ce média, laissons la place à certains de ses acteurs, à ses musiciens.
Et tout écoutant, interpelé par la force de cet art, en devient alors un acteur.
Photo - © Paul Evrard - lors d’un autre concert au New Morning (Paris).
Il faut dire que le bèlè est un acte artistique de groupe, structuré, qui engendre appel et réponse (le répondè), que l’instrument qui le caractérise est le tambour qu’il soit Bèlè ou Ti-bwa, éléments éminemment africains. C’est là qu’intervient l’artiste et il faut laisser parler son imagination pour modeler l’orchestre de jazz au bèlè. Fidèle à sa tradition, c’est le jazz qui va au bèlè et non le contraire.
Ici Hervé Celcal, du piano, prend la place à la fois du chanteur soliste et du chœur répondè, il faut souligner la pureté de son toucher, du son presque cristallin qu’il tire du piano sur des mélodies qui peuvent rappeler celles qu’on imagine inspirées des musiques de son île, du zouk à la biguine bèlè au quadrille. Sans jamais perdre le sens de la danse, de l’africanité, le dialogue se construit alors autour des virtuosités rythmiques de Boris Reine-Adélaïde au bèlè et de la batterie d’Abraham Mansfarroll ou encore de la contrebasse du formidable Mauro Gargano auteur de quelques beaux soli bien construits.
À l’instar de la salsa ou des musiques issues de ces traditions, c’est alors sur des sortes de montuno que se développent les improvisations, les dialogues et interactions. Le public fidèle et nombreux est resté là comme lors des "swarés", ces moments festifs où se mêlent rythmes, danses et transes dans ces lieux de la Martinique dont si peu de monde parle.
N’ayant jamais mis les pieds à mon grand regret en Martinique, je mesure la part de fantasme, d’espoir et de curiosité que je mets ici. Laissons alors parler Jacques Lacarrière l’écrivain-marcheur :
“Un patrimoine, c’est ce qui sourd de la terre pour ensuite traverser les siècles comme une mémoire qui murmure. Un vrai livre ne meurt jamais. Tout au plus hiberne-t-il dans le temps et il ne dépend que de nous de lui redonner souffle et voix par la lecture vivifiante que nous pouvons en faire’’.
C’est l’ouvrage d’Hervé Celcal.
Hervé Celcal : piano / Mauro Gargano : contrebasse /Abraham Mansfarroll : batterie, tambours bàtà / Boris Reine-Adélaïde : tambour bèlè
Pour ceux qui veulent écouter cette musique en dehors des concerts (concerts qui demeurent ces instants où ce n’est plus le moment de penser mais celui du lâcher prise), Hervé a enregistré un fort beau disque dans lequel on retrouve les principes des musiques décrites ci dessus. Hervé est un authentique musicien de jazz dans le sens de l’universalité vers laquelle tend cette musique.
Hervé CELCAL : "Bel Air For Piano"
> Autoproduction - ref. HERVE CELCAL 6551
Hervé Celcal, piano / Chris Jennings, contrebasse /
Abraham Mansfarroll Rodriguez, batterie, tambours bàtà /
Boris Reine-Adélaïde : tambours bèlè et ti-bwa / Prabhu Edouard : tablas
01. Zip zap wa bap (feat. Prabhu Edouard) / 02. Beginning / 03. Bèlènégro / 04. Les temps modernes (woulé computer) / 05. Petite douceur / 06. K’drill n°1 / 07. Bel air for piano / 08. Swaré bèlè / 09. Le jazz se danse / 10. La traversée / 11. Nou las fouyé tè / 12. Man Eva / 13. Dou (feat. Prabhu Edouard) / 14. An lot soley
> Liens :
> liens pour mieux connaître le bèlè :