Comme dans toute dérive qui se respecte, on ne mesure pas le temps qui passe. Le set nous laisse à peine le temps d’applaudir...
L’auditorium du Carreau du Temple sent la voiture neuve et les fauteuils offrent la tenue ferme du siège tout juste sorti de l’emballage. 250 places face à la scène organisée en deux niveaux pour le concert de l’ONJ ( Orchestre National de Jazz ).
Après un rappel nécessaire, salutaire et grave de la lutte en cours des intermittents contre le protocole Unedic, ils rejoignent leur place.
Au rez-de-chaussée, Sophie AGNEL au piano ( arrangé, étendu, augmenté, à queue aussi ), Théo CECCALDI au violon et à la barberousse, Jean DOUSTEYSSIER aux clarinettes, Hughes MAYOT au sax alto, Alexandra GRIMAL aux sax ténor et soprano, Fabrice MARTINEZ à la trompette et au bugle, Fidel FOURNEYRON aux trombone et tuba ;
au premier étage, Paul BROUSSEAU au Fender et claviers, Bruno CHEVILLON à la contrebasse, guitare basse et bidouilles électroniques, Éric ÉCHAMPARD à la batterie, Olivier BENOÎT à la guitare électrique et à la direction.
Tiens, dans cette époque de divertissement mondialisé, nous échappons au grand écran, à la ola et aux pubs. Ni maillot, ni drapeau : pas de nationalisme rampant. À lieu classieux, public encore mieux.
Tout le monde se souvient des Merry Pranksters, de leur bus. Ce soir, pas de bus, pas de substances mais une bande de nomades en pleine dérive psychogéographique. Guy DEBORD n’est pas mort. Une longue intro invite à laisser choir tout de suite l’écume des pensées qui s’accroche aux bords du crâne, à l’intérieur. À laisser choir ses catégories habituelles, à s’ouvrir à ce qui est là. Ils cheminent déjà et nous avons le loisir de nomader avec eux. Ou pas. Comme cette femme qui jaillit de son siège et se débine très vite : un SMS grave mortel « Rentre à la maison tout de suite : ton mari » !!! ? Elle s’est trompée de salle de cinéma ? C’est trop difficile de se laisser emporter ?
La dérive non stop va alterner des thèmes collectifs et des soli solides : chacun y passe et, luxe inouï, dispose de tout son temps pour aller au bout de son propos. Ceccaldi qui ouvre la route et s’arrache le bras comme un furieux emporté par l’excès de fièvre ( un carrefour embouteillé-pousse-toi que j’puisse passer ? ), Chevillon, qui, avec ses petites machines crée un univers multiple, un multivers sonore, tout en silence et en durée qui sonne et résonne longtemps ( le parc des Buttes Chaumont après vingt-deux heures ? ), Grimal qui souffle comme une ténor hero sans bouger un poil du mollet ( bon, d’accord, elle est épilée mais si on peut plus rigoler...), Mayot qui manque de pot : son solo est écrabouillé par le premier étage qui a mis la pédale du son dans le coin, Dousteyssier qui fabrique avec sa clarinette en souffle continu un son qui pourrait sortir d’une machine, allez vous y retrouver entre les machines qui imitent les musiciens et les musiciens qui imitent les machines ; Jacques ELLUL, ne reviens pas ! L’homme-machine, on y est !!! et ce duo violon-contrebasse, comme une discussion chuchotée "non, j’en pense rien/Ah bon j’aurais cru que/ non tu vois, des fois/ ah oui, c’est pas faux mais tout de même/ben si tu le dis/ oui oui..."
- Des rythmes emmêlés dont la sophistication pleine de complexitude interdit de regarder les genoux des créatures du premier rang ( ou les mains prometteuses des mecs ), des rythmes qui tournent comme des pédaliers ovoïdes ( tu vois la gueule du cycliste qui mouline ? ), comme des roues septuagonales bref : un millefeuille où Agnel frappe juste avant Brousseau qui lui-même frappe avant Échampard qui lui-même frappe avant Grimal et tout ça fait de la musique. Oui madame. D’aujourd’hui.-
Comme dans toute dérive qui se respecte, on ne mesure pas le temps qui passe. Le set nous laisse à peine le temps d’applaudir, on passe d’une rue solitaire à un parking saturé, d’un trottoir frénétique à une oasis urbaine, d’un balcon aérien à un entrepôt caverneux, musique électroacoustique, musique improvisée, musique répétitive, musique contemporaine, rock industriel : un mélange épatant pour une musique inouïe. Olivier BENOÎT écrit une musique de passerelles, de coursives, de contre-allées qu’Escher aurait été bien en peine de dessiner.
Tous les acteurs nécessaires à la réalisation de ce concert montent sur scène, les musiciens et les techniciens de la coulisse. Et c’est très bien.
Orchestre National de Jazz : concerts sur le programme EUROPA “PARIS”.
Le Carreau du Temple - 4 rue Eugène Spuller 75003, Paris - 26 et 27 juin 2014.
> Et le disque...
Tout juste déballé dans la Pile de disques de juin 2014 :
ORCHESTRE NATIONAL DE JAZZ Olivier BENOÎT : "Europa Paris" ... dans la Pile de disques de juin 2014... lire ici. > ONJazz Records 424444 / L’Autre Distribution Olivier Benoit : direction artistique, compositions, guitare / Bruno Chevillon : conseiller artistique, contrebasse, basse électrique/ Éric Echampard : batterie / Sophie Agnel : piano / Paul Brousseau : claviers, effets / Théo Ceccaldi : violon, alto / Fabrice Martinez : trompette, bugle / Fidel Fourneyron : trombone, tuba / Hugues Mayot : saxophone alto / Alexandra Grimal : saxophones ténor et soprano / Jean Dousteyssier : clarinettes CD1 : Paris I / Paris II (11 parties) CD2 : Paris III (2 parties) / Paris IV (10 parties) - Bonus : Paris V et Paris VI |