Suite des hostilités discographiques et novembresques avec un assemblage plein de contrastes et suffisamment coloré pour satisfaire tout un chacun.
Whirlwind recordings
Ingrid Jensen : trompetta & effets
Steve Treseler : saxophone tenor, clarinette, clarinette basse
Geoffrey Keezer : piano
Martin Wind : contrebasse
Jon Wikan : batterie
Invitées :
Katie Jacobson : chant
Christine Jensen : saxophone soprano
On ne se frotte pas sans risque à l’univers musical de Kenny Wheeler tant il est foisonnant et exigeant. Ingrid Jensen et Steve Treseler ayant eu le bonheur de travailler avec le maître, ils ont osé l’hommage. Ont-ils eu raison ? Oui. Trois fois oui. Porté par une rythmique impeccable de rigueur et de créativité, un pianiste à découvrir séance tenante de ce côté-ci de l’atlantique, les deux souffleurs laissent s’exprimer leurs visions personnelles du monde wheelerien sans l’affadir ni le trahir, ce qui en soi est un exploit n’étant pas à la portée du commun des musiciens. A tous moments, Ingrid Jensen et Steve Treseler livrent des improvisations exceptionnelles de fluidité et d’intelligence musicale, avec en sus un sens aigu de la ligne mélodique et une élégance de jeu sans cesse renouvelés. Toute la musique de cet album est une affaire de cohésion souple autant que naturelle aboutissant à un ensemble parfaitement homogène. Que cela soit mélancolique, lyrique ou gentiment décalé, c’est toujours d’une extrême pertinence. Les auditeurs qui auront ce disque magique entre les oreilles seront pris d’une irrésistible envie d’écouter le maître à l’origine de cet enregistrement. Et il est également certain que le désir de réécouter encore et encore ce CD le tiendra longtemps. Totalement indispensable à toute cédéthèque qui se respecte.
Yves Dorison
http://www.ingridjensen.com/
https://stevetres.com/
Intakt
Don Byron : clarinette, Saxophone
Aruan Ortiz : piano
Deux générations, deux personnalités complémentaires. Deux amoureux de la diversité des langages musicaux. Don Byron et Aruan Ortiz. Tous deux enclins à l’expérimentation. Tous deux prêts pour l’imprévisible. Austère et harmonieux, atypique et révérencieux, en toute circonstance stimulant, leur duo agit sur l’auditeur telle une substance psychotonique. Cette musique, au vu du parcours des deux protagonistes, ne pourrait être qu’intellectuelle et virtuose, mais elle est emplie d’une profonde émotion musicale, d’une sérénité dans l’exécution qui tend vers la grâce ou un de ces graal que les musiciens recherchent en permanence. Les deux comparses font en outre preuve d’une rigueur dans l’interprétation qui peut vous laisser béat d’admiration. La créativité, à ce niveau d’excellence, n’est pas un vain mot et il apparait clairement qu’ils partagent une curiosité profonde pour l’histoire de la musique, dans toute sa diversité, ainsi qu’une audace qui les autorise à explorer des paysages sonores peints avec une inventivité aussi acérée que percutante. L’art du duo est avant tout l’art du dialogue. En aristocrates du genre, Aruan Ortiz et Don Byron le démontre avec distinction. A ne pas manquer.
Yves Dorison
Rataplan records
Devin Gray : batterie
Ellery Eskelin : saxophone
Dave Ballou : trompette
Michael Formanek : contrebasse
On peut avoir 35 ans et avoir joué avec, parmi d’autres, David Liebman, Tony Malaby, Gary Thomas, Ingrid Jensen, Dave Burrell, Nate Wooley, Stephan Crump, George Garzone, Chris Speed, Drew Gress, Sam Rivers, Ralph Alessi, Kris Davis, Ted Rosenthal, Matt Mitchell, Uri Caine, Andrew D’Angelo, Vardan Ovsepian, Bill McHenry. Dans ce nouvel opus, entouré par Dave Ballou, Ellery Eskelin et Michael Formanek, Devin Gray délivre une musique sensible. Jouant avec les codes, il multiplie les approches et la contemporanéité de son jeu exprime avec un talent rare la pulsation dans tous ses états. C’est plein de bonnes surprises et d’émotions fortes. La musique est toujours fluide et organique. L’improvisation se taille la part congrue qui sied à ce type de configuration musicale. On ne vous fera pas les biographies de dave Ballou, Michael Formanek et Ellery Eskelin, ses aînés, faut pas exagérer non plus. Ils sont bien là, avec toute la force de leur personnalité et magnifient, maximisent, les compositions du batteur. A maintes reprises, le quartet flirte avec la magie. En un mot, beau.
Yves Dorison
Pirouet
Kenny Werner : piano
Un solo de piano qui vous tient en haleine, ça existe. On dira même, en nombre. Celui de Kenny Werner, poète de l’intime en quête d’espace et d’absolu, il va vous coller à la peau, croyez-nous. Peu importe que le pianiste de Long Island soit un technicien hors pair, peu nous chaut qu’il soit présent sur la scène internationale depuis des décennies. Dans ce nouvel album, l’essentiel provient de la musique qu’il joue en conscience et en se donnant toute la liberté induite par ses propres émotions. Au jeu de la mélodie franche comme à celui de la retenue qui bride l’élan, Kenny Werner excelle en ne proposant à l’auditeur que des réponses musicales ouvertes. Chacun peut s’approprier son propos, l’aimer ou non. Mais force est de reconnaître qu’il est captivant à bien des égards. Flottante ici, a priori erratique là, interrogative et encline à s’appesantir sur l’espace du spectre sonore à quelques moments, directe et proche du swing ailleurs, toujours nourrie par la mélodie, sa palette érige la nuance en viatique plus qu’indispensable à son expression artistique personnelle. Kenny Werner avance à découvert dans l’espace que lui renvoie sa musique. Introspectif et presque joyeux, il manie la versatilité avec une douceur épidermique et une distinction de haut rang qui donne à sa musique une hauteur de vue inhabituelle. C’est presque trop humain.
Yves Dorison
Phonoart
Frank Woeste : piano, claviers
Invités : Baptiste Trotignon, Scott Colley, Olivier Ker Ourio, Mark Turner, David Enhco, Larry Grenadier, Eric Vloeimans, Greg Hutchinson, Sylvain Rifflet, Seamus Blake
Frank Woeste a eu la bonne idée de préparer un morceau pour chacun des amis musiciens qu’il a invité à jouer en studio sans préparation aucune. Trois prises maximum. Chacun se retrouve de facto complice d’un dialogue improvisé instantané. Je vois votre question venir avec la légèreté d’un pachyderme : comment ça marche ? Bon, c’est simple. Vous regardez la liste des invités. Quand vous l’avez lue, vous vous posez une autre question : comment cela pourrait-il ne pas fonctionner ? Truffé de mélodies qui collent aux pavillons, l’ensemble se déguste avec un plaisir non feint. Chacun apporte au pianiste son savoir, son empathie, sa personnalité et son désir de jeu. Les ambiances varient donc au gré des intervenants et le CD se révèle au final d’une surprenante homogénéité car lyrique sans excès et toujours aisément lisible, chaque pièce apporte une couleur nouvelle complétant la précédente. Frank Woeste réussit un pari dont l’intitulé laisse espérer un second volume. Ce qui ne serait pas pour nous déplaire.
Yves Dorison
Chapeau l’Artiste Production
Delphine Deau : piano & compositions
Camille Maussion : saxophones ténor & soprano
Pedro Ivo Ferreira : contrebasse
Pierre Demange : batterie
Vu en concert l’année passée, le quartet nous avait laissé une excellente impression, faite de shorterisme assimilé, de jeunesse et d’originalité. On retrouve dans ce deuxième album la polyrythmie, l’énergie, l’esprit d’aventure qui permet aux quatre musiciens d’exposer des motifs et des couleurs au sein de scénarii particulièrement bien construits. A l’oreille, cela ne manque pas de grain, c’est habité comme on dit, cohérent. Quartet paritaire, faut-il le signaler, Nefertiti s’est une choisi une route sur laquelle il exprime son inventivité avec une belle acuité et un sens narratif assez rare chez les jeunes pousses du jazz. Alors même si cet album studio nous paraît par moment légèrement trop studieux, on ne s’inquiète donc pas pour eux et l’on ose leur recommander de ne jamais perdre de vue la folie ; parce que la case en moins est toujours pleine de surprises...
Yves Dorison
Shed Music
Karl Jannuska : drums, percussion, midi programming, sound sculpture, toy piano
Cynthia Abraham : vocals
Seamus Blake : tenor sax
Federico Casagrande : guitar
Baptiste Germser : French horn, electric bass, keyboards
Julien Herné : electric bass
Guillaume Latil : cello
Nicolas Moreaux : acoustic bass
Tony Paeleman : Hammond organ, Fender rhodes, piano & other keyboards
Christophe Panzani : tenor sax, clarinets & woodwind arrangement
Pierre Perchaud : guitar
Avec ce nouvel album, Karl Jannuska continue l’exploration d’un univers personnel placé sous le double signe de l’onirisme des grands espaces et de la profondeur intérieure. Intérieure-extérieure, chaque composition oscille et crée un genre de dualité heureuse entre jazz et pop. Toujours bien accompagné, le batteur du Manitoba a choisi la voix cristalline de Cynthia Abraham pour propulser ses textes avec une grâce sereine. De temps en autre, l’on entend des sonorités issues de la pop progressive de nos jeunes années qui s’immiscent et se mêlent au mouvement musical global et qui, de facto, participent avec justesse au propos original de l’artiste. De clair obscur en brillance apaisée, chaque thème porte son lot de créativité, subitement rehaussé au gré du flux d’envolées lyriques bien senties. Karl Jannuska montre et démontre (si cela est encore nécessaire…) dans ce CD son goût marqué pour l’équilibre des formes et l’harmonie dans la pleine acceptation du terme.
Yves Dorison
The whistleling Puffer Fish
Dan Aran : drums
Itai Kriss : flute, percussions et voix
Adam Birnbaum : piano
Luke Sellick : contrebasse
Marcos Lopez : percussions et voix
Zafer Tawil : oud
Jainardo Batista : voix
Le batteur Dan Aran, que nous ne connaissions pas jusqu’alors, est établi à New York mais est originaire de Jérusalem. Pour cet enregistrement, il a réuni autour de lui les musiciens qu’il fréquente régulièrement sur les scènes de la grande pomme. Le but avoué est inscrit dans le titre du CD, regroupé cette famille de musiciens pour célébrer la musique sous bien des formes ; l’on va donc du jazz au Moyen Orient en passant par l’Amérique du sud. Si chaque musicien est irréprochable dans cet enregistrement, nous avons tout de même noté un flûtiste au jeu fort intéressant, Itai Kriss, un contrebassiste très agréable à l’oreille, Luke Sellick, et un joueur d’Oud palestinien, Zafer Tawil, dont l’art musical est d’une belle subtilité. Ce qui nous permet d’affirmer maintenant que le batteur n’abuse aucunement de sa position de leader et qu’il une performance pleine de sérénité entouré qu’il par ses amis.
Yves Dorison
Via veneto jazz
Julian Oliver Mazzariello : piano
André Ceccarelli : batterie
Rémi Vignolo : contrebasse
Le pianiste anglo-napolitain n’est pas un néophyte. C’est pourtant son premier album en tant que leader qui parait aujourd’hui. Principalement centré sur les compositions personnelles de l’artiste ce disque au casting luxueux fait la part belle aux mélodies sans détester le mélange des genres. En toute circonstance le trio fonctionne et la rythmique accompagne avec un groove précieux le toucher soyeux du pianiste. C’est clair et subtil, et il faut prêter l’oreille pour pleinement apprécier le travail musical accompli dans ces neuf titres. Rien de gratuit dans cette musique riche de nuances et de swing. D’obédience jazz classique, cet album copurchic a sa place dans les cédéthèques de ceux qui apprécient la finesse à sa juste valeur. A noter une belle version du célébrissime « Que reste-t-il de nos amours ? »
Yves Dorison
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Adam Price : clarinette
Isamu McGregor : piano
Jack Synoski : contrebasse
Spencer Inch : batterie
Jeff Hatcher : percussions
Kristina Rajgelj : chant sur titres 2 & 5
En provenance des Etats Unis, voici un disque sympathique et parfaitement réalisé. Entièrement composé par le leader et clarinettiste Adam Price, il approche un genre musical hybride qu’il est difficile de lier au jazz uniquement. Vous me direz que ce n’est pas nouveau. Néanmoins, il perdure dans cet enregistrement un rien d’improbable ethnicité, un mélange qui ne nous dérange pas d’ailleurs. Quoi qu’il soit, les musiciens réunis cet album s’expriment avec talent sur des mélodies agréables auxquelles il manque tout de même un marqueur qui leur rehausserait leur originalité. Les amateurs de clarinette découvriront en Adam Price un clarinettiste plutôt lyrique au jeu en tout point efficace.
Yves Dorison
Tetrakord
Fabrice Tarel : piano
Yann Phayphet : contrebasse
Charles Clayette : batterie
Repéré il y a bientôt dix ans, Fabrice Tarel poursuit sa route en trio. Sur ce nouveau disque, un changement de rythmique intervient qui se compose maintenant de Yann Phayphet à la contrebasse et de Charles Clayette à la batterie. Le groupe n’y perd pas, rassurez-vous et l’on retrouve le lyrisme pointu du leader dont les nouvelles compositions nous semblent sinon plus abouties du moins plus denses. La faute à l’expérience et au talent, certainement. Toujours empreint de néoclassicisme, la musique du pianiste aime à fréquenter la brisure et l’envol. C’est coloré et créatif, toujours précis. Cela ne manque aucunement d’équilibre et, pour tout dire, c’est très recommandable.
Yves Dorison
Frédéric Borey : sax ténor
Antonino Pino : guitare
François Bernat : contrebasse
Olivier robin : batterie
Yoann Loustalot, invité : trompette, bugle
Faire de la musique de Miles Davis l’objet d’un disque n’est pas chose aisée. En premier lieu la matière elle même de la musique de Miles qui bien que concrète appelle avant tout à l’esprit. Elle est par essence mouvante, marquée par ses acteurs et s’échappe là où l’on pensait la saisir. Beaucoup a déjà été fait dans le genre et c’est tout le paradoxe de la relecture de l’œuvre iconique d’un musicien qui sans refuser l’introspection rejetait obstinément la répétition. Il convient alors dans ce miroir d’y voir au delà de son propre reflet celui d’un future, sinon à quoi bon relever le défi de modèles dits insurpassables.
François Bernat a lui décidé de prendre le taureau par les cornes en s’attaquant aux années 1955-1968 du Prince des ténèbres. Le choix des titres en atteste n‘excluant aucun des courants auxquels s’est confronté le grand Miles, du pur bop avec Milestones (première version) à Madness (Herbie Hancock) en passant par les collaborations avec Gil Evans, le jazz cool ou Wayne Shorter (Iris). Si dans l’instrumentarium on y retrouve le saxophone ténor (Frank Borey) on y entend plutôt la guitare d’Antonio Pino que la trompette de Yann Loustalot présente sur seulement trois titres donnant à cet enregistrement une couleur à la « So near so far » de Joe Henderson. Tout sauf un hasard.
Ici rien qui ne bouleverse l’expression musicale ni ne surprend, mais la sincérité d’une musique qui, à sa manière, a amenée de jeunes musiciens à choisir celle ci et le jazz en particulier comme idiome. Ainsi ce disque entre retrouvailles, respect et avant tout plaisir n’est pas un hommage béat à la musique de Miles mais plutôt une révérence à un artiste majeur qui a marqué la musique du XXème siècle. On ne résiste pas à ses désirs.
Pierre Gros
https://www.francoisbernat.com/
Shreds Records / L‘Autre Distribution
Franck Vaillant : batterie
Pierre de Bethmann : claviers
Bruno Chevillon : basse électrique et acoustique
Voilà un disque passionnant. Presque une illustration sonore du livre commis par notre collègue Christian Ducasse avec Franck Medioni : Dreaming Drums, le monde des batteurs de jazz. Et voilà que la formation de Franck Vaillant, Thisisatrio (à prononcer à l’anglaise s’il vous plaît) produit son second opus pratiquement dans le même temps. Le disque a été enregistré et mixé par Steve Argüelles, batteur de jazz anglais, producteur et propriétaire de la maison de disques Plush. Batteur autodidacte en recherche permanente, Franck Vaillant rend hommage aux batteurs qui l’ont influencé en aventurier du son. C’est Robert Wyatt l’ancien batteur de Soft Machine qui l’a poussé dans cette aventure et c’est Daniel Humair qui l’y a aussi encouragé. « Lorsque je joue, je brise l’espace et je le reconstruis » a dit Jack DeJohnette. Franck Vaillant applique parfaitement ce concept et on se régale à reconnaître…ou pas les batteurs qui l’ont inspiré. Et qui se côtoient dans un joyeux désordre. Car il réinvente à sa manière le mythique XYZ de Neil Peart, le batteur de Rush, transposé dans l’univers du séga réunionnais. Le Come Sta la Luna du regretté Jaki Liebezeit batteur du légendaire groupe allemand Can est chanté par les trois musiciens. Le Mama de Phil Collins (Genesis, Brand X…) devient méconnaissable et aérien, instant vraiment suspendu au jeu proche de celui d’Antonio Sanchez. La patte de Christian Vander (Magma) dans Last Seven Minutes est reconnaissable malgré des accents trip-hop. Il y a aussi The Juggler d’Elvin Jones (extrait de son album Atlantic de 1966, “Midnight Walk”), Neptune : Creature Of Conscience de Tony Williams (créée en 1990 dans l’album “Native Heart”) ou encore Beelzebub de Bill Bruford (“Feels Good To Me”, 1978) pour lequel ce dernier n’a apparemment pas apprécié la réinterprétation, au contraire de Daniel Humair qui a aimé la façon dont deux de ses compositions (Guylène et Bas de Lou) ont été revues. Frank Vaillant signe également trois compositions dont un joli Shibuya comme un clin d’oeil à son dernier disque Peemai, avec un jeu protéiforme magnifié par Pierre de Bethmann et Bruno Chevillon, parfaits compagnons pour un trio détonnant plein de malice qui n’a sûrement pas dit son dernier mot.
Florence Ducommun
https://www.franckvaillant.com/