Deuxième livraison du mois, pleine de Oui ! De quoi attendre les fêtes de la dinde et du marron qui ne manqueront pas d’apporter leurs lots de coffrets et autres rééditions plus ou moins digestes.
| 00- FRED PERREARD . Romantic sketches
| 01- DAVE DOUGLAS . Engage - OUI !
| 02- FREDERIC BOREY . Butterflies trio
| 03- JULIA HÜLSMANN . Not far from home - OUI !
| 04- TEYMUR PHELL . Master volume
| 05- NITAÏ HERSHKOVITS . Lemon the moon
| 06- BLUE TANGERINE . Blue Tangerine
| 07- SKARBØ SKULEKORPS - OUI !
| 08- DIMITRI NAÏDITCH . Bach up
| 09- FREDERIC FAVAREL TRIO . Fred & (new) friends
| 10- THE DOGGY CATS . Daikon pizza
| 11- KINGA GLYK . Feelings
| 12- KELLEY JOHNSON . Something good- OUI !
| 13- DANIEL ERDMANN - BRUNO ANGELINI . La dernière nuit- OUI !
| 14- KEVIN SUN . The Sustain Of Memory - OUI !
| 15- DANIEL ERDMANN - VELVET REVOLUTION . Won’t put no flag out - OUI !
Jazz family
Frédéric Perreard : piano, Rhodes, compositions
Arthur Alard : batterie
Samuel F’hima : contrebasse
Musiciens invités :
Irving Acao : saxophone ténor
Hermon Mehari : trompette
Baptiste Herbin : saxophone alto
Balthazar Naturel : flûte, chant
Camille Durand : chant
Marie Tournemouly : violoncelle
De la poétesse Marceline Desbordes –Valmore (« Il est de longs soupirs qui traversent les âges… ») pour l’inspiration au pianiste Ahmad Jamal pour l’influence dès l’âge de 9 ans, il y a une large part pour l’invention personnelle. C’est cet espace annoncé d’entrée de jeu que le pianiste Fred Perreard entend parcourir avec Romantic Sketches, aussi bien titre d’un morceau que de ce second enregistrement du trio. Entouré d ‘Arthur Alard à la batterie, de Samuel F’hima à la contrebasse, le trio du pianiste et compositeur Fred Perreard inaugure ce nouveau CD par un Crepuscule lumineux autant qu’enlevé que sa composition suivante Romantic Sketches- d’abord en demi teinte avant d’éclater- confirme. Avec en plus, la touche singulière apportée par les musiciens invités. Ainsi pour ce titre phare, la voix de Camille Durand et de Balthazard Naturel ainsi que le violoncelle de Marie Tournemouly qui viennent compléter l’univers musical du trio. Ce dernier reprend alors ses droits avec Expressions précisément où Fred Perreard quitte momentanément le piano pour le Rhodes. Suivent alors un chatoyant Garden, un tonique Interlude puis un mystérieux ( ?) JCH accompagné d’un zeste de violoncelle qui ajoute au mystère d’un piano suspendu. Changement de ton, on s’en doute, avec l’apport du saxophoniste Baptiste Herbin et du trompettiste Hermon Mehari en guise de bouquet final –ou presque- pour Conversation with S. « Presque » puisqu’il s’agit du pénultième morceau et que c’est au titre For Mal que revient la sortie en douceur de ce disque aux paysages intérieurs variés et portés par un trio de talent.
Jean-Louis Libois
Greenleaf Music
Dave Douglas : trompette, compositions
Anna Webber : flûtes alto et basse, saxophone ténor
Tomeka Reid : violoncelle
Jeff Parker : guitare
Nick Dunston : contrebasse
Kate Gentile : batterie
+
Dave Adewumi : trompette (3, 4, 5, 11)
Riley Mulherkar : trompette (5, 7, 11)
"ENGAGE" ! C’est à la fois l’engagement politique et social et aussi le début de la partie dans le jeu collectif. En leader et manager bienveillant, Dave Douglas a réuni un sextet paritaire de (plutôt) jeunes pointures du jazz libre et combatif. Avec ses compositions ouvertes qui sont autant de chants d’optimisme pour inciter à l’action positive, il leur donne envie de jouer ensemble (et comment !) une musique qui porte aussi une dimension sociale et sociétale. "Nous allons devoir nous engager pour apporter les changements qui permettront de préserver notre environnement, notre égalité, nos sciences et valeurs humaines" écrit Dave Douglas qui souhaite vivement que "tout le monde, dans tous les domaines se sente impliqué dans cette mission". Il montre le bon exemple avec ces douze nouvelles compositions inspirées par trois mots-clés : optimisme, action et communauté. Action des instrumentistes-solistes audacieux impliqués dans cette musique qui trouve ses couleurs et son énergie dans le brassage des cultures américaines : jazz, blues, folk, rock... Optimisme du leader qui est parallèlement le manager inventif de son label Greenleaf. Il sait innover dans les modes de diffusion. ENGAGE a été proposé par souscription tout au long de l’année 2019 à raison d’un titre par mois autour d’une thématique (inégalité économique, contrôle des armes, santé, immigration...), en téléchargement sur le site Bandcamp du label. La publication du CD vient clore ce cycle qui dessine aussi une autre économie de la musique amorcée en 2018 avec le projet UPLIFT dédié à l’action positive.
Une fois encore, Dave Douglas innove tout en respectant son attachement à la tradition du jazz.
Thierry Giard
davedouglas.bandcamp.com/engage . greenleafmusic.com/engage
Fresh Sound New Talent
Frédéric Borey : saxophone ténor, composition
Damien Varaillon : contrebasse
Stéphane Adsuar : batterie, composition
« Butterflies Trio » est un double CD avec sur le premier des compositions originales, huit de Fred Borey, deux de Stéphane Adsuar, et un second dévolu à des reprises de grands standards. A la première écoute, ce que l’on ressent pleinement c’est le grain chaleureux, boisé et la rondeur des instruments mis en valeur par une prise de son irréprochable. On entre ainsi dès les premières mesures dans l’intimité d’un trio qui réserve à l’équilibre toute son attention. Travaillées dans un interplay ne manquant pas de délicatesse, chaque titre abordé réserve son lot de plaisir musical. Qu’ils se baladent (presque) entre les notes ou qu’ils attaquent franchement la ligne mélodique et ses méandres, les trois musiciens font preuve d’une belle créativité et savent rendre hommage à la mélodie et à son caractère feutré, celui qui est capable d’émouvoir en profondeur l’auditeur. Aucun clinquant dans cette musique mais bien un amour invétéré du jazz et le désir ardent de lui faire honneur. A ce jeu-là, Frédéric Borey et ses acolytes, en utilisant toutes les subtilités de leur inventivité et leur science musicale, réussissent de manière imparable un album de grande qualité. Évoluant loin de toute fureur, dans un entredeux apaisé privilégiant l’écoute, leur musique est synonyme de connivence et d’entente cordiale, au vrai sens du terme. Un beau disque, quasiment balsamique, qui permet de suspendre le temps qui passe. Un régal dont vous auriez tort de vous priver.
Yves Dorison
https://www.fredericborey.site
Ecm
Julia Hülsmann : piano
Uli Kempendorff : saxophone ténor
Marc Muellbauer : contrebasse
Heinrich Köbberling : batterie
Julia Hülsmann, dont le style est reconnaissable pour ses qualités mélodiques et son minimalisme poétique, est l’une des grandes figures du jazz allemand que l’on affectionne particulièrement. D’abord parce qu’elle sait régénérer sa musique d’album en album et ensuite, parce qu’à la tête d’un trio existant depuis presque deux décennies, elle a démontré sa capacité à transcender les genres et créer un univers musical éminemment personnel. L’ajout dans ce disque d’un quatrième musicien, le saxophoniste Uli Kempendorff, étoffe son discours musical, en modifie la couleur et apporte un supplément d’âme libertaire en tout point magistral. Sur chaque thème, la connivence entre les musiciens tient de la collusion tant elle est patente. Les spectres musicaux traversés sont nourries de clair-obscur, d’impulsion variant les intensités, de suspension propice à la rêverie. Chez Julia Hülsmann, la douceur cache toujours un feu intérieur prêt à surgir. Il s’exprime le plus souvent dans un lyrisme musical ouvert à tout vent et, dans ce Cd, Uli Kempendorff réalise en la matière un travail d’orfèvre en ouvrant de grands espaces. Atmosphérique par essence, la musique ici présentée combine les rythmes, les mélodies et l’abstraction avec une originalité sachant créer des ambiances qui emporteront l’adhésion de n’importe quel auditeur amoureux d’un jazz intelligent qui ne s’enferrent pas dans l’hermétisme.
Yves Dorison
https://www.ecmrecords.com/artists/1435047541/julia-hulsmann
Teymur Phell : basse, voix
Nitzan Gavrieli : piano, claviers
Chad Lefkowitz Brown : saxophone ténor
Mike Stern : guitare
Lionel Cordew : batterie
Dennis Chambers : batterie
Daniel Sadownick : percussions
Itai Kriss : flute
Albert Leusink : trompette
Brian Bonvissuto : trombone
Wisam Khoury : darbuka
Natif d’Azerbaidjan, ce bassiste électrique (à six cordes) est un virtuose qui sait s’entourer et proposer une musique de jazz fusion, avec un soupçon de funk et du groove ad hoc dans tous les coins des compositions. Volontiers lyrique, autour de mélodies travaillées et ciselées d’un calibre appartenant définitivement au genre musical précité, le bassiste et ses compères font le boulot avec entrain et savoir faire. Les ombres d’anciennes figures tutélaires planent dans cette musique, Pastorius et Miles en tête, naturellement. De temps à autre, des lignes musicales nous rappellent ses origines orientales de belle manière avec une ornementation assez riche. Mike Stern, qui a adoubé le jeune bassiste, fait du Mike Stern, ce qui n’est déjà pas si mal. Pour les amateurs de basse électrique, tous les territoires explorés par Teymur Phell leurs parleront. Agréable à l’oreille, quelquefois un peu convenue, sa musique élabore avec un certain brio des approches renouvelées pour une musique qui conserve de par le monde de nombreux adeptes. Réservé aux curieux et aux inconditionnels.
Yves Dorison
Enja Yellow Bird
Nitaï Hershkovits : piano, synthétiseur
Or Bareket : contrebasse
Amir Bresler : batterie
Voilà un disque dans lequel se mêlent allègrement bien des influences. Orientale dans l’ornementation, très swing dans ses accents, nourrie de subtilités, la musique de Nitaï Hershkovits ne manque pas d’intérêt. Elle peut être mélancolique ou chantante, mais toujours éprise de clarté. Nous qui ne sommes pas vraiment adeptes de l’électronique n’avons pas été gênés par son usage modéré, usage propice à la création de climats où l’étrange et l’attrayant se côtoient avec une finesse avérée. Originales dans leur conception, ses compositions sont évocatrices d’un espace musical difficilement identifiable qui ménage quasi continûment des surprises, qu’elles soient rythmiques ou mélodiques, d’autant plus que le toucher à l’élégance vintage du pianiste est un plaisir rafraichissant pour les oreilles. Accompagné par une rythmique fidèle avec laquelle il entretient un dialogue fécond, Nitaï Hershkovits sait être inventif avec décontraction et autorité. Avec un feeling et une spontanéité parfaitement maîtrisée, il génère des espaces qui n’appartiennent qu’à lui et si son propos est dense, sa musique demeure en toute occasion élégante et empreinte d’un fort tempérament qui ne l’éloigne cependant pas d’une forme d’évanescence aussi délectable qu’intrigante.
Yves Dorison
Klarthe . [PIAS]
Angela Vella Zarb : voix
Florent Hinschberger : trompette, bugle
Michel Berelowitch : trombone
Benoit Crauste : saxophone alto
Philippe Lopes de Sa : saxophones ténor et soprano
Karl Galea : guitare
Dean Montanaro : contrebasse
Nils Wekstein : percussions
Joseph « Bibi » Camilleri : batterie
Vincent Jacqz : piano, arrangements, direction musicale
Avec le temps, on a appris que les projets fabriqués à l’occasion de festivals sont parfois éphémères... et on ne le regrette pas toujours ! En voilà un qui résiste non seulement à la possible usure du temps (il a été créé en juillet 2016) mais aussi à l’éloignement géographique des protagonistes français et maltais. Blue Tangerine réunit à parité des musiciens de chaque pays dans la cadre d’un programme d’échange entre la France et Malte. Le percussionniste Nils Wekstein est venu s’ajouter à l’octet pour le disque. Passionné par la musique d’Hermeto Pascoal, le pianiste et directeur musical Vincent Jacqz a d’abord proposé un répertoire basé sur les compositions du diabolique brésilien. Au fil du temps et de la longévité de l’ensemble, des compositions originales se sont ajoutées. Passé un premier titre en forme de générique un peu convenu, on se laisse vite porter par la vitalité et la finesse de l’ensemble. Les arrangements subtils laissent de l’espace aux solistes portés par une rythmique particulièrement vive. La perle fine dans cette musique, c’est la voix d’Angela Vella Zarb qui avec ou sans paroles se glisse avec légèreté dans le son de l’ensemble. Une formation qui a tourné, tourne et tournera encore, on l’espère, sur les scènes françaises. Les écouter en concert doit être assurément un moment de plaisir.
Thierry Giard
Hubro
Signe Emmeluth : saxophone alto, électronique
Eirik Hegdal : saxophone C Mélodie, clarinette
Stian Omenås : trompette
Anja Lauvdal : orgue, synthétiseur
Johan Lindström : pedal steel, guitare
Chris Holm : basse, synthétiseur
Øyvind Skarbø : batterie, percussion, vibraphone, banjo Sur 1-555-3327
Jørgen Sandvik, Ivar Chelsom Vogt, David Chelsom Vogt : voix
Møhlenpris foreldrekorps : vents supplémentaires
Et voilà que le batteur Øyvind Skarbø revient avec un septet simplement interstellaire. L’album éponyme de sa nouvelle formation est tout simplement, comme on dit de nos jours, non genré. Ne cherchez pas, il ne rentre dans aucune case. Ou bien dans la case Hubro qui devient avec le temps une marque de fabrique au même titre qu’Ecm par exemple. Foin de préjugés, ici les musiciens sautent d’un balcon californien pour tomber dans un bac à free, les aurores boréales sont texanes et dans ce pays de merveilles Alice vend des space-cakes. Leur groupe est ouvert à tous vents et les courants d’air musicaux le traversent, quitte à tout mettre sans dessus dessous. Prendre des risques semble être une seconde nature. La première étant de proposer un univers musical atypique, voire anticonformiste. D’une composition à l’autre, d’un folk rock déglingué mâtiné de country sous acide et de R’n’B à d’autres terreaux musicaux moins convenus mais versés dans l’abrasif, les sonorités acoustiques, électriques et électroniques se combinent comme autant de possibles sonores convertis en surprises auditives. Les ambiances se succèdent sans cependant nuire à l’homogénéité atmosphérique d’un ensemble qui n’a pas son semblable ici-bas tant les esthétiques s’entrechoquent avec délice. Alors quoi ? L’on pourrait penser que cette musique d’acrobate se laisse bercer par l’extravagance la plus bouffonne et c’est pourtant parfaitement construit, travaillé au plus juste et poli dans les moindres recoins. Croyez-nous, l’imagination du batteur leader norvégien nous a paru sans limite et l’on attend dans l’avenir de son groupe qu’il nous stupéfie encore. Indispensable.
Yves Dorison
http://www.oyvindskarbo.com/bands.html
Dinaï Records
Dimitri Naïditch : piano, mélodica
Gilles Naturel : contrebasse
Arthur Alard : batterie
Dimitri Naïditch propose avec cet album consacré à Bach le premier d’une série nommée « New Time Classics » qui le verra aborder d’autres compositeurs classiques. Formé au classique dès sa prime enfance, le natif de Kiev retrouve dans ce disque le compositeur emblématique qui l’a très tôt séduit. Vous nous objecterez évidemment que reprendre et réarranger le grand Jean Sébastien n’est pas une nouveauté et on vous le confirme. Beaucoup d’autres l’on fait et, en son temps, Jacques Loussier en fit un fonds de commerce (sept millions de disques vendus…). Mais à notre humble avis, Dimitri Naïditch évolue dans un art musical bien plus conséquent que le gars d’Angers précité. Sa technique sans faille, la clarté de son toucher, le lyrisme intrinsèque qui l’habite et sa virtuosité lui permettent une approche et une interprétation où la musicalité prime en toute circonstance. Magnifiquement accompagné par la sonorité boisée du contrebassiste Gilles Naturel et la batterie subtile d’Arthur Alard, Dimitri Naïditch fait dans cet album qui, au détour d’une phrase, sait surprendre, un sans faute. C’est donc un disque éminemment recommandable, plein d’une joie communicative, réalisé par des improvisateurs d’aujourd’hui au service d’un improvisateur d’hier encore et toujours d’actualité.
Yves Dorison
http://www.dimitri-naiditch.com
Weseemusic Records
Frédéric Favarel : guitare
Nicolas Moreaux : contrebasse
Gautier Garrigue : batterie
Invitée : Carine Bonnefoy : piano
Avec ce Cd, vous entrez dans un monde de jazz où les esthètes aiment à se promener. Limpide à l’écoute, le trio de Frédéric Favarel, augmenté de Carine Bonnefoy sur trois titres, déroule un univers musical à l’interplay très evansien. En coloriste émérite, le guitariste crée des climats apaisants propices à la rêverie qui semblent naître dans l’instant. Dans son jeu, il emporte l’ombre tutélaire de John Abercrombie, ce qui n’est pas pour nous déplaire, et fait résonner ses phrases avec un savoir faire d’où l’esbroufe est absente. Les interventions de Carine Bonnefoy apportent une autre densité à la musique du trio sans pour autant la dénaturer. Tout au long du disque, les compositions originales et les standards se côtoient avec bonheur et, de fait, cela semble couler de source. Pas de fureur démonstrative dans cet opus, juste une musique harmonieuse et racée, une de ses musiques dont on aime le raffinement et la sincérité. Nous n’omettrons pas de signaler le travail architectural dans son ensemble de ce disque auquel Nicolas Moreaux et Gautier Garrigue apporte une qualité rythmique qui place l’art de la nuance à un haut niveau.
Yves Dorison
https://www.facebook.com/frederic.favarel
autoproduction
Tetsuro Hoshii : piano
Aaron Bahr : trompette
Zac Zinger : saxophone
Christopher Palmer : trombone
Michael Bates : contrebasse
Robert Garcia : batterie
Tiens, une fanfare ! Mais que font-ils donc au XXIème siècle ? De la musique, tendance New Orleans, mais avec une patte très contemporaine qui ne nuit pas aux origines du genre. Des instrumentistes impeccables, une joie de jouer évidente et des thèmes suffisamment attractifs pour ne pas lasser les oreilles, voilà en peu de mots de quoi il retourne. Emmené par un pianiste (et peintre) originaire du Japon, le septet existe depuis quatre ans et se produit régulièrement à New York. Cela s’entend dès les premières notes de l’enregistrement. Tout est en place et bien carré. Nous qui ne sommes pas des fans ultimes des brass bands New Orleans, nous nous sommes laissés séduire par cet album éclectique qui sait mêler les influences et les transcender pour en faire autre chose. Ainsi les musiciens cassent les codes du genre initial et s’échappent dès qu’une porte s’entrouvre dans des formes improvisées qui ne manquent pas de panache, ni d’entrain. Relativement inclassable donc, cet album permet d’écouter une musique allègre, raconteuse d’histoires, qui fleure bon l’humain et la camaraderie, le coup à boire sur le coin du bar et la vie nocturne éclairée au néon. Une belle surprise accessible, même aux oreilles les plus néophytes.
Yves Dorison
http://tetsurohoshii.com/top/The_Doggy_Cats.html
Warner
Kinga Glyk : basse
Pawel Tomaszewski : claviers
Calvin Rodgers : batterie
Invités :
Brett Williams : claviers (3,6,8)
Joachim Mencel : vielle à roue (4,5)
Slawek Berny : perdussions (3,5,6,7,8,11,12)
Anomalie : claviers (11)
Bobby Sparks II (claviers (10)
Ruth Waldron : voix (12)
Mateus Asato : guitare (12)
Pour son deuxième disque chez Warner, la jeune virtuose polonaise de la guitare basse tente d’épaissir son propos musical avec des thèmes plus écrits et les interventions récurrentes de musiciens invités (on note au passage une vieille à roue, ce qui dans un univers funky/groovy en surprendra plus d’un). Une chose est certaine, la jeune musicienne, en toute sincérité, essaye de renouveler le genre musical qui l’a consacrée. C’est quelquefois assez bienvenu et, à d’autres moments, c’est un peu moins heureux. Souvent lyrique et presque emphatique, sa musique ne manque pas de chair mais s’égare quelquefois dans des travers déclamatoires excessifs. On ne le reproche pas, on le note. Il n’en demeure pas moins qu’une bonne dose de groove n’a jamais fait de mal à personne et que Kinga Glyk tient son manche avec sa virtuosité habituelle. Elle est en outre plutôt bien accompagnée et a encore devant elle bien des années pour évoluer. A suivre.
Yves Dorison
OA2 Records
Kelly Johnson : voix
John Hansen : piano
Michael Glynn : contrebasse
Kendrick Scott : batterie
Jay Henderson : saxophone (4,5,8)
Allez ! Encore une chanteuse que l’on ne connaissait pas. Kelley Johnson possède un phrasé précis, un timbre soyeux et une diction cristalline. C’est déjà beaucoup, ce qui ne l’empêche pas de scatter avec une originalité certaine. Rien n’est ostentatoire dans ce disque. La musique y est vécue de l’intérieur. Les réinterprétations qu’ose la chanteuse sont personnelles et, surtout, habitées par un swing subtil qui séduit sans effort. Sa sureté de ton, la richesse de son imaginaire, en font une interprète de standards qui sort du lot sans effort apparent. Il y a un peu de Mark Murphy dans sa façon d’étirer les phrases et une capacité à moduler chaudement autour des mots qui rappelle aussi Carmen McRae. Créative et fort bien entourée tout au long de l’album, elle dévoile un talent vocal exempt de cabotinage. Sa version de « Lullaby of birdland », à cette aune, est un condensé de son art et démontre sa capacité dans la création d’arrangements personnels qui transmettent en profondeur l’émotion qu’elle distille dans les textes qu’elle chante. Naturellement, elle fait tout cela avec une déconcertante aisance (qui pourrait irriter bons nombres de vocalistes) et une maestria, discrète certes, mais indiscutable. Si l’on note pour finir que les musiciens qui jouent avec elle dans cet enregistrement sont à son niveau, l’on obtient un disque qui honore le jazz en particulier et la musique en général. Something really good !
Yves Dorison
Autoproduction
Bruno Angelini : piano, compositions
Daniel Erdmann : saxophone ténor, compositions
Alban Lefranc : texte
"La dernière nuit" rend hommage à Sophie et Hans Scholl, jeunes résistants allemands du réseau de la Rose Blanche arrêtés par la Gestapo et exécutés le 22 février 1943 à Munich. Daniel Erdmann, saxophoniste allemand et Bruno Angelini, pianiste français aux origines latines ont choisi de rendre hommage au combat de ces jeunes opposants au régime nazi dont l’histoire est assez méconnue. Sur la pochette à l’effet saisissant, les visages de mêlent, se recouvrent, ombres graves ou souriantes, recto et verso. Dans la musique qu’ils ont choisi de jouer, les voix instrumentales s’assemblent avec gravité et sérénité. Le graphisme signé Jean-Michel Hannecart et Philippe Ghielmetti réunit les deux portraits qui se chevauchent. On voit Hans ou Sophie, Sophie et Hans alternativement. La musique joue elle aussi sur des effets de trame à partir d’une écriture écrite à part égale par l’un et l’autre des musiciens pour constituer une sorte de sonate pour piano et saxophone aussi homogène que bouleversante. Daniel Erdmann et Bruno Angelini avaient enregistré ensemble il y a cinq ans (disque Rituals & Legends avec Joe Rosenberg). Poursuivre un dialogue leur a semblé une évidence. Pour ce disque-hommage, ils ont ressenti la nécessité de disposer d’un texte poétique pour trouver l’inspiration afin d’évoquer la dernière nuit fatale de Sophie Scholl et de son frère Hans. C’est le rôle de l’écrivain Alban Lefranc, auteur du texte que vous pourrez lire dans son intégralité sur le site de Bruno Angelini (ici... [1]). Vous pourrez associer les mots lus à l’écoute de ce disque sans paroles. La force de la musique et le poids des mots. Exemplaire et incontournable !
Thierry Giard
Endectomorph Music
Kevin Sun : saxophone ténor, clarinette
Adam O’Farrill : trompette
Dana Saul : piano
Walter Stinson : contrebasse
Simón Willson : contrebasse
Matt Honor : batterie
Dayeon Seok : batterie
Dans ma liste de lecture du mois de novembre, voici un autre disque qui m’a alerté et accroché avec insistance. Pas étonnant, c’est le saxophoniste américain Kevin Sun dont nous avions déjà remarqué l’album "Trio" en 2018 (avec Stinson et Honor ici présents. Lire là...). Avec "The Sustain of Memory", ce musicien met en équilibre sa profonde connaissance du jazz et son imagination créative de compositeur. Le double album s’articule en trois longues suites pour quartet (The Middle of Tensions), trio (Circle, Line) et quintet (The Rigors of Love) pour constituer un ensemble cohérent et convaincant. Certains trouveront cette démarche un peu intellectuelle mais on répondra que cette musique aussi réfléchie qu’elle soit dans sa conception n’en est pas moins libre et ouverte à l’expression individuelle dans le cadre collectif. Passionné par l’écriture autant littéraire que musicale, Kevin Sun a réalisé des quantités de transcriptions d’interprétations de jazzmen, de Louis Armstrong à Vijay Iyer qu’il publie sur son site. Autant dire qu’il maîtrise le sujet. Cependant, cet admirateur de Steve Lehman, Matt Mitchell ou Craig Taborn est un musicien totalement en phase avec l’avancée inéluctable du jazz dans ses aspects les plus créatifs. Kevin Sun, un nom à retenir (avis aux diffuseurs du jazz dans l’Hexagone !).
Thierry Giard
https://www.endectomorph.com/the-sustain-of-memory.html . www.thekevinsun.com
BMC Records
Daniel Erdmann : saxophone tenor
Theo Ceccaldi : violon, alto
jim Hart : vibraphone, percussions
Nous avions note lors de la parution de « A short moment of zero G » que l’alliance des timbres inédite de ce trio pouvait représenter un parfait affront à l’industrie musicale et un cadeau pour les férus d’intrigues mélodiques travaillées dans le creuset d’un imaginaire versatile, en l’occurrence celui de cette formation paneuropéenne autant que chambresque. Et qui dit chambre dit tentures lourdes et tissus propices, ambiances feutrées faite pour le jeu car la musique adoucit les mœurs. Et quand les mœurs s’affolent de manière imprévisible, la musique que l’on écoute peut donner des idées. Alors peuvent intervenir Daniel Erdmann, Théo Ceccaldi et Jim Hart car, de souffles étirés en lignes violonesques encadrés de rebonds vibraphoniques, ils distillent dans un espace aux fenêtres closes des sonorités multiples tendant à effacer les murs (peut-être est-ce cela l’alter lego). D’où un mouvement intime aux flottaisons harmoniques finement contrastées, avec du grain, de la douceur et des battements, de la chaleur entre les lattes, les cordes et la colonne d’air qui quelquefois crispe ses muscles entre la soie du violon et l’écho du vibraphone. Si l’on excepte le très chaplinesque « Over the rainbow », seul standard à disposition dans cet album, sont-ce les états d’âme du cœur musical et du corps mélodique qui s’expriment dans les compositions originales ici jouées ? Nous vous laissons choisir… Mais une évidence s’impose : point besoin d’un orchestre numériquement ronflant pour suer par tous les pores (hashtag) un lyrisme dévastateur pour les neurones, la moelle épinière et les surfaces pileuses. Pas de drapeau pour les meutes alignées au cordeau dans ce disque, juste un idéal intime d’universalité, comme une petite révolution moirée aux grands effets sur l’auditeur consentant.
Yves Dorison
http://www.daniel-erdmann.com/velvet.html
[1] Octobre 2021 - Note : Le texte n’est plus disponible désormais.