Trois concerts entre le Calvados et la Manche pour ce début janvier 2023... Dernier épisode de cette mini-série avec Codex III, le trio de Régis Huby, Bruno Chevillon et Michele Rabbia. C’était le 15 janvier à Sottevast (Manche).
Trois concerts en Normandie occidentale pour débuter 2023, sans fanfare mais allègrement tout de même : Vincent Lê Quang Everlasting Quartet (lire ici), Yves Rousseau Septet et Codex III (Régis Huby, Bruno Chevillon et Michele Rabbia). De Caen à Sottevast en passant par Lessay, dans le Calvados et La Manche. Trois moments de musiques bien différentes à déguster entre les gouttes avant que n’arrive la tempête prénommée Gérard qui a balayé notre paisible région dans la nuit du 15 au 16 janvier. |
Sottevast (Manche) - Salle de l’Élan Rural
Dimanche 15 janvier - 17h00
Fort heureusement, ce concert était programmé à 17 heures. Une chance pour ceux qui, comme moi, durent prendre la route pour rejoindre Sottevast, calme bourgade du Nord-Cotentin où je crois bien ne jamais avoir mis les pieds. Quelques heures plus tard, la tempête dénommée Gérard déboulait sur notre département en causant pas mal de dégâts qui rendirent la circulation délicate.
Ce concert fut réellement le moment de calme avant la tempête.
Pous sa seconde année de résidence à Cherbourg, le violoniste (compositeur et improvisateur) Régis Huby a privilégié la petite forme de ce trio équilatéral intitulé Codex III. L’an passé, il réunissait une trentaine de musiciens en mars pour Métamorphoses (Théâtre de Cherbourg) après avoir proposé en janvier des concerts en forme de "salons de musique" avec le quartet de Pierrick Hardy. Reprenant la formule des concerts "hors les murs" dans le Nord-Cotentin, le Trident (scène nationale) nous conviait cette fois dans la salle de l’Élan Rural à Sottevast. Une salle des fêtes à l’allure un peu désuète mais qui voit passer des improvisateurs de premier ordre grâce à l’association Presqu’île Impro-Jazz. En février, Joëlle Léandre s’y produira en solo ! De l’irrigation culturelle comme on la rêve...
Beaucoup de matériel électronique au sol ou sur la table qui jouxte la batterie mais aucune partition. Normal, ce concert sera totalement improvisé. Une heure et une dizaine de minutes de flux musical continu, sans pauses. Régis Huby, toujours pédagogue pour ouvrir la porte de ses musiques nous aura prévenus dans son introduction.
Juste avant, Farid Bentaïeb, directeur du Trident et initiateur de cette résidence invitait l’auditeur à se laisser porter dans ce voyage musical unique et le violoniste alla également dans ce sens.
Il existe à ma connaissance deux enregistrements de ce trio mais ce n’est à chaque fois que le témoignage d’un moment précis et précieux. Le premier fut enregistré en concert en Italie en 2017 (Réminiscence - CAM Jazz) et le second dans le cadre inspirant des Studios La Buissonne à Pernes-les-Fontaines(Vaucluse) en 2020(Codex III - Abalone). Pour ces trois musiciens improvisateurs aguerris, tout se construit dans l’instant.
Puisqu’on nous invite au voyage, il suffit de se laisser entraîner, guider, envelopper par la musique en faisant confiance à cet équipage expérimenté.
Dans la musique improvisée, il y a les radicaux qui veulent s’écarter au plus loin de tous les académismes et de toutes les structures des musiques codifiées. Une posture qui conduit souvent à un certain hermétisme qui ne ravit que les adeptes de la cause. Et puis, il y a les généreux, les partageurs, ceux qui ne s’interdisent rien et surtout pas de faire jaillir ici et là des bribes mélodiques, des pulsations régulières, des paysages sonores renvoyant à d’autres univers musicaux autant qu’ils explorent des espaces nouveaux. Le trio Huby-Chevillon-Rabbia appartient évidemment à la seconde catégorie avec une spécificité qui tient à l’utilisation de dispositifs électroniques en tous genres qu’ils maîtrisent avec une expertise acquise depuis bien longtemps. Toutefois, le geste de l’instrumentiste reste fondamental comme la source du son. La maîtrise des cordes à l’archet ou pizzicato, souvent frappées chez Huby et Chevillon, la science des timbres sur les toms, les cymbales et les différentes percussions qui composent l’attirail de Michele Rabbia donnent vie à cette musique. Le réseau électronique n’est qu’une extension qui permet de modeler, d’étirer, de colorer la matière sonore pour l’offrir aux oreilles attentives des spectateurs-auditeurs.
Il y a une magie de l’improvisation pour l’observateur. Comment ça démarre et comment ça finit ? Au début, chacun procède par touches, envoie des signaux brefs (le violon). La contrebasse reste à sa place, pose les bases dans les graves, trace des fondations qui deviennent vite instables. Michele Rabbia oublie balais et baguettes pour se concentrer sur son écran et faire jaillir des zébrures électroniques. On prend le large... Ça craque, ça vibre, ça crisse. Quelques notes de violon comme un fiddle irlandais au fond de la cale d’un navire en errance. Des volutes en boucle tissent une nappe sonore que brise la basse avec des sonorités à faire frémir les fans de heavy metal. Les paysages se succèdent et l’Orient émerge des brumes : contrebasse dans l’aigu au mediator comme un koto, violon ténor devenu percussion sous le bois d’un crayon... Michele Rabbia installe une pulsation chaloupée avec un sac plastique trituré-frotté et on se surpend à taper du pied et se balancer pour accompagner le voyage à surprises.
Musique improvisée ? À ce stade, on (re)découvre ce que l’on peut appeler la composition spontanée. La musique prend vie, s’envole, devient presque tangible et le temps passe doucement. On nous l’avait prédit, promis... On y est.
Un coup au cœur... Une pulsation quasi-techno se dessine dans ce champ d’explorations fertiles. Ça pulse fort, de plus en plus fort. Ces gars-là osent tout, même un final electro qui donne envie de se lever pour les accompagner dans leurs gestes. L’ensemble s’invente une mélodie inouie, rythmée et envoûtante. Tout naturellement, comme si c’était écrit, la musique s’enroule et rentre dans sa boîte... C’est fini pour aujourd’hui !
On en redemande mais tout a été dit... Il faut à remettre les pieds sur la terre ferme. La tempête approche et ce sera une autre histoire !
Régis Huby : violon, violon ténor, électronique / Bruno Chevillon : contrebasse, électronique / Michele Rabbia : batterie, percussion, électronique.
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