François Poitou et Pumpkin, Hermeto Pascoal & Grupo et Élise Caron - Guillaume de Chassy

Trois touches de jazz du côté des Alpes dans un été au climat capricieux. Voilà un bilan estival somme toute assez maigre comparé à la boulimie festivalière de nombre de jazzfans.

  Yvoire Jazz Festival le 1er juillet.

Ce récit commence le 1er juillet au matin. Tout juste arrivés au bord du Lac Léman, côté Bas-Chablais, ma dame et moi partons à vélo sous le soleil en direction d’Yvoire, charmante bourgade d’opérette estampillée "Un des plus beaux villages de France" (ils sont nombreux) avec ses parkings, ses touristes, ses boutiques en tous genres et un superbe clocher à bulbe. C’est très joli Yvoire et ça vous met tout de suite dans l’ambiance "rives du lac".
Je ne savais pas qu’Yvoire a (aussi) son festival de jazz (Yvoire Jazz Festival, tout bêtement) et gratuit qui plus est ! Je le découvre ce matin-là alors qu’il avait débuté la veille. Ce soir du 1er juillet, l’affiche annonce une série de concerts sur trois scènes (comme les grands) et je repère tout de suite la présence de François Poitou et Pumpkin. Ces deux-là nous ont distillé leurs Arômes complexes pour clore 2022 : un album qui méritait le OUI ! honorifique que je lui ai attribué. Le verdict du live allait donc s’imposer. Le programme de la soirée était tout trouvé nous reviendrions à Yvoire le soir même, dans le mode festivaliers mais pas à vélo cette fois.

Yvoire Jazz festival 2023
Noé Reine, Fleur Worku, Manu Katché, Jérôme Regard et Alfio Origlio
© Thierry Giard

Ambiance bon enfant dans le village médiéval ce soir-là mais d’épais nuages sont à l’affût... La gratuité incite au papillonnage d’une scène à l’autre sans pour autant nuire à l’écoute. Nous irons donc tranquillement écouter le quintet du pianiste Alfio Origlio épaulé par un batteur de choc, le fameux Manu Katché sur la scène du port en jetant un œil au ballet des célèbres "bateaux vapeur" du Léman dans leurs liaisons franco-suisses...
Musique sans surprise pour ce quintet qui cherche à séduire dans le respect de codes bien établis. C’est bien joué, certes, mais trop stéréotypé pour nous ravir. Réunir une brochette d’excellents musiciens ne suffit pas pour imposer une vraie singularité, on ne cesse de le répéter... Ils ne réussissent pas plus à nous retenir quand la pluie arrive. Un abri à distance de la scène a permis d’attendre, en musique, que la pluie cesse, ce qu’elle a fait...

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Alfio Origlio : piano, fender rhodes
Manu Katché : batterie
Fleur Worku : violon, voix
Noé Reine : guitare
Jérôme Regard : basse électrique.


La pluie a cessé mais, prudents, les organisateurs ont décidé d’avancer le concert de François Poitou et Pumpkin de 30 minutes, info diffusée sous le manteau... Nous aurions pu arriver trop tard, mais non.
Qui dit concert avancé dit balance écourtée, un peu de panique et un surplus de stress pour les musiciens comme pour les techniciens dans l’atmosphère un peu humide de la charmante petite place du village.
Dans le disque Arômes complexes (Yovo Music / L’Autre Distribution), François Poitou (contrebassiste très polyvalent) a réussi un bel alliage de jazz acoustique épuré (sans instrument harmonique) avec la voix et les textes de la rappeuse "atypique", Pumpkin, une baroudeuse qui imagine une poésie contemporaine ciselée sur le tranchant des rythmes. J’avais apprécié la sincérité et la limpidité de cette musique sans artifices et sans clichés. Le concert m’a largement conforté dans cette opinion.

François Poitou & Pumpkin 5tet - à Yvoire (74)
Hugo Afettouche, Olivier Laisney, Stéphane Adsuar, Pumpkin et François Poitou
© Thierry Giard
  • François Poitou & Pumpkin 5tet - à Yvoire (74)
    Hugo Afettouche, Olivier Laisney, Stéphane Adsuar, Pumpkin et François Poitou
    © Thierry Giard
  • François Poitou & Pumpkin 5tet - à Yvoire (74)
    Hugo Afettouche, Olivier Laisney
    © Thierry Giard

J’ai passé un excellent moment à écouter cette formation dans laquelle le saxophoniste ténor Hugo Afettouche succède à Maxime Berton (sur le disque) avec une intensité et une impliction dans le jeu collectif tout aussi appréciable. Et puis, il y a Olivier Laisney qui s’impose tranquillement comme un de nos meilleurs trompettistes européens. Demandez à Sylvain Cathala, Alban Darche ou Magic Malik ce qu’ils en pensent. Ils le gardent auprès d’eux mais doivent désormais partager sa disponibilité avec Louis Sclavis qui vient de l’inclure à son nouveau quintet India ! Bien qu’il ait jugé prudent de conserver sa veste de pluie, le trompettiste n’a pas pour autant ménagé ses efforts. Son jeu incisif, son phrasé inventif ont apporté un brillant incomparable à cette musique énergique et sensible. Pourtant sérieusement impactés par des problèmes récurrents de sonorisation et la folie des fumées d’ambiance envoyées sans ménagement (!!), les musiciens ont suivi leur trajectoire en esquivant les obstacles en captivant un auditoire parfois espiègle et pas toujours respectueux mais finalement conquis. Un bien bon moment malgré des conditions assez compliquées.

  • François Poitou & Pumpkin 5tet - à Yvoire (74)
    Olivier Laisney
    © Thierry Giard
  • François Poitou & Pumpkin 5tet - à Yvoire (74)
    Hugo Afettouche, Olivier Laisney, Stéphane Adsuar, François Poitou et Pumpkin
    © Thierry Giard

Je concluerai en saluant l’initiative des organisateurs de ce festival sympathique et gratuit. Je leur signalerai cependant que les formations de jazz ne sont pas des orchestres de bal aux figurants anonymes. Chaque musicien a sa place et son rôle dans la musique qui sera jouée sur scène. Il est donc indispensable de les citer dans les programmes diffusés en détaillant la composition de la formation. Les citer de vive voix en introduction du concert serait encore mieux en se passant des discours de chauffeurs de salle d’animation commerciale entendus ce soir-là.


FRANÇOIS POITOU & PUMPKIN :
François Poitou : contrebasse, basse, compositions
Pumpkin : voix, rap, textes, électronique
Hugo Afettouche : saxophone ténor
Olivier Laisney : trompette
Stéphane Adsuar  : batterie


www.yvoirejazzfestival.com
www.francoispoitou.com


  Genève, Parc de la Grange le 5 juillet - 21h

Si la découverte du festival d’Yvoire fut une surprise, j’avais préalablement repéré l’existance des manifestations "Musiques en été" dans le Parc de la Grange à Genève. Une série des concerts gratuits (là encore !) trois soirs par semaine en juillet et août.
Le cadre est superbe : un beau parc sur le coteau qui domine le lac à quelques centaines de mètres du célèbre jet d’eau. La scène Ella Fitzgerald (bel hommage) est installée dans une clairière à la pelouse accueillante qui prend vite des allures de garden-party. Des groupes d’amis, des familles se retrouvent là avec le panier pique-nique en attendant le concert. Ambiance bon enfant là encore !

Je n’avais pas réécouté Hermeto Pascoal en concert depuis 11 ans. C’était à Coutances avec un Grupo plombé par la présence de la vocaliste-guitariste Aline Morena, un peu trop envahissante... Nous étions alors bien loin de la folie des concerts des années 80.
Eh bien figurez-vous que j’ai retrouvé à Genève le plaisir d’écouter la musique échevelée et luxuriante de l’Hermeto d’antan. À 87 ans, le gaillard aux allures de lutin débonnaire a toujours (sur scène) bon pied-bon œil. certes, il a à ses côtés son manager qui veille au grain mais une fois le concert lancé, la vitalité du musicien est assez étonnante.

  • Hermeto Pascoal à Genève - 07-2023
    Hermeto Pascoal & Grupo - Scène Ella Fitzgerald, Genève
    © Thierry Giard
  • Hermeto Pascoal à Genève - 07-2023
    Hermeto Pascoal & Grupo à Genève
    © Thierry Giard

Au fil du temps et malgré une longévité remarquable, la composition du Grupo a évolué. Pour cette tournée de l’été 2023, la formation mise en place depuis plusieurs années était au complet. On y trouve Fabio Pascoal, le fils d’Hermeto, aux percussions, Ajurinã Zwarg qui a remplacé Marcio Bahia (batterie) et Itiberê Zwarg (basse) qui fait aujourd’hui figure de gardien du temple en impulsant une énergie qui maintient la flamme aux côtés du pianiste André Marques. Aux saxophones et flûtes, Jota P. impressionne par son aisance à passer d’un instrument à l’autre et la qualité de son jeu lumineux plein de force. On se laisse vite happer par cette folle farandole de rythmes et de sons toujours riche en surprises sur le plan harmonique et rythmique. Jouer cette musique avec autant d’aisance et de plaisir est évidemment le résultat d’une vie collective intense. Le Grupo d’Hermeto Pascoal, c’est un peu l’Arkestra de Sun Ra : une communauté réunie autour d’un leader charismatique plutôt libertaire et fantasque dans ce cas. Une sorte de poète des sons là encore.
Malheureusement, la pluie fut à nouveau l’invitée surprise après plus d’une heure trente de concert amenant une grande partie du public à évacuer les lieux. Ce que je fis à regret, manquant le final en me disant que les occasions de revoir Hermeto Pascoal sur scène risquaient désormais d’être rares. On ne sait jamais... et on lui souhaite longue vie !


HERMETO PASCOAL & GRUPO
Hermeto Pascoal : clavier, voix, objets, percussion...
André Marques : piano, voix
Fabio Pascoal : percussion, voix
Ajurinã Zwarg : batterie
Itiberê Zwarg : basse, voix, percussions
Jota P. : saxophones, flûtes


en.hermetopascoal.com.br


  La Bâtie-Neuve / Festival de Chaillol (Hautes-Alpes) le 9 août

Ah ! Le Festival de Chaillol !
Cette itinérance musicale (mais pas que) à travers la vallée du Champsaur et le bassin de Gap entre Haut-Buech et Durance sème des graines de culture entre la mi-juillet et le début août et en récole désormais les fruits : bien des concerts étaient complets. Une réussite liée aussi à la ténacité de ces semeurs de bonheurs artistiques qui travaillent sur leurs territoires à l’année entre résidences d’artistes, rencontres et concerts. Pianiste de formation et de culture classique initialement, le directeur, Michaël Dian, dirige une équipe motivée et engagée, travaillant sans œillères mais avec une constante exigence dans l’envie de faire se rencontrer les musiques et les artistes entre cultures savantes et populaires, d’ici et d’ailleurs, d’hier et surtout d’aujourd’hui.

Pas de chance pour moi cette année, je n’aurai pu assister qu’à un seul concert qui m’aura donné l’occasion de découvrir la toute nouvelle salle multi-activités de la Bâtie-Neuve, à l’est de Gap pour ce concert qui fut, de fait, inaugural pour cette structure.

Depuis le début des années 2000, on connaît le goût de Guillaume de Chassy pour la chanson française. On se souviendra du disque "Chansons sous les bombes" (2004) qu’il enregistré avec son compère d’alors, Daniel Yvinec (contrebasse) et André Minvielle (voix). Il y en a eu d’autres depuis comme Wonderful World autour, cette fois, de la chanson américaine l’année suivante. Depuis, il eut aussi Pour Barbara et l’Âme des poètes au programme de ce concert haut-alpin.
Guillaume de Chassy est un musicien un peu "à part" dans le monde du jazz. Improvisateur, certes, mais aussi interpréte de compositeurs comme Poulenc, Chostakovitch, Fauré ou Schubert, autant de raisons qui expliquent sa relation privilégiée avec le festival de Chaillol.

  • Guillaume de Chassy - L'Âme des poètes - quartet
    Guillaume de Chassy, Arnaud Cuisinier, Élise Caron & Thomas Savy
    © Thierry Giard
  • Guillaume de Chassy - L'Âme des poètes - quartet
    Élise Caron
    © Thierry Giard
Guillaume de Chassy - L'Âme des poètes - quartet
Élise Caron & Thomas Savy
© Thierry Giard

Le programme L’Âme des poètes, implique le fidèle trio (atypique) du pianiste : Arnault Cuisinier (contrebasse) et Thomas Savy (clarinettes) déjà présent dans ce festival il y a 10 ans (ici). Ils ouvrirent d’ailleurs ensemble ce concert 2023 en rendant hommage à Trénet (Coin de rue) ou Brel (Vezoul) non sans évoquer le trio Jimmy Guiffre/Paul Bley avec Birth of a Trio (seule composition de G. de Chassy interprétée ce soir-là). Belles sonorités d’ensemble, finesse de l’interprétation, inspiration des solistes : autant de qualités pour cette formation qui capte très vite l’attention du public.
Après l’Âme des poètes (la mélodie) distillée savamment et avec subtilité par Guillaume de Chassy en solo, Élise Caron le rejoint pour une série de chansons en duo : Actualités, Seule ce soir, Chez Temporel, Hôtel (de Poulenc)... On retrouve avec bonheur la voix à l’expressivité incomparable d’Élise Caron et sa présence radieuse assez magnétique (public conquis, séduit...).

  • Guillaume de Chassy - L'Âme des poètes - quartet
    Arnaud Cuisinier, Élise Caron
    © Thierry Giard
  • Guillaume de Chassy - L'Âme des poètes - quartet
    Arnaud Cuisinier, Guillaume de Chassy, Élise Caron & Thomas Savy
    © Thierry Giard

Enfin, avec le retour sur scène de Thomas Savy et d’Arnault Cuisinier, le concert s’achève en apothéose avec une série de chansons transfigurées par la combinaison de la voix et des sonorités instrumentales. On se laisse transporter hors du temps dans l’ambiance en noir et blanc de l’autre siècle, sans passéisme ni nostalgie mais avec une intensité expressive émouvante. Après "Adieu Chérie", "J’attendrai", "Danse avec moi", difficile de laisser partir ce quatuor si complice sans un rappel. Pour prolonger le plaisir de l’écoute, ce fut "Besame mucho", seule exception à la langue française pour cette soirée. Un baiser d’au-revoir et pas d’adieu, évidemment.


L’ÂME DES POÈTES :
Guillaume de Chassy  : piano, arrangements, composition
Élise Caron : voix
Arnaud Cuisinier : contrebasse
Thomas Savy : clarinette, clarinette basse


www.festivaldechaillol.com
www.guillaumedechassy.fr