LUIGI GRASSO - Dantesca

Luigi Grasso, saxophone alto, composition et arrangements
Orchestre symphonique de Bologne Senzaspine
Tommaso Ussardi, direction

On connait les bienfaits d’être bilingue ou plus. On sait aussi que la musique est un langage qui comme celui des oiseaux ne se traduit pas. Alors quand on a un musicien voyageur polyglotte qui s’exprime à travers plusieurs langages musicaux, qu’il a su dès son plus jeune âge passer de l’un à l’autre sans aucune gêne on prête une oreille attentive. On a déjà été témoin de tentatives pour mêler le jazz et la musique dite classique sans pour autant avoir, à quelques exceptions près, de résultats probants. Il y a bien eu Duke Ellington ou le duo Gil Evans-Miles Davis mais il s’agit là d’une transformation radicale en incluant une rythmique jazz. Aussi prenons les musiciens pour ce qu’ils sont sans vouloir les plier à un langage rythmique qui ne leur correspond pas. Saluons ici la pari osé de l’écriture du saxophoniste-compositeur Luigi Grasso, évitant tout à la fois la rigidité classique en se passant d’une rythmique jazz qui peut dans ce cas sembler tout aussi rigide. Enregistrement en deux parties bien distinctes. La première est une suite-concerto Dantesca pour orchestre symphonique et saxophone alto en quatre mouvements faisant appel aux techniques des compositeurs européens de la première moitié du 20 siècle, la flute pouvant évoquer tout d’abord Debussy, les fagots et clarinettes Stravinsky (le second mouvement rappelant même les danses sacrales du Sacre du Printemps), et parfois de façon plus large Ravel et comme aux temps pas si lointains les cadences solistes (il fallut attendre Mozart pour les trouver écrites) sont ici improvisées par Luigi lui même. Soulignons dans un même temps le soin mis à l’orchestration, un art qui a souvent manqué dans le jazz mis à part les compositeurs et arrangeurs les plus récents. Le second acte Manhattan Sérénade fait plus appel au sens du jazz stricto sensu. L’écriture de Luigi évitant le contre-emploi de faire swinguer des musiciens d’orchestre qui n’en ont pas l’habitude. Et pourtant ça swingue grâce a un savant mélange de phrases, d’accents et de couleurs harmoniques qui donnent ce pigment si propre au jazz. Enfin n’oublions pas le magnifique jazzman qu’est Luigi avec une belle recension de Lush Life à la manière d’un Joe Henderson. Fruit de toutes ces influences Luigi a trouvé ici un langage, le sien, celui qui n’a pas fait le choix d’un camp plutôt qu’un autre. Un disque hautement recommandable.


http://luigigrassomusic.com/


  DAN TEPFER MIGUEL ZENON - Internal Melodies

Dan Tepfer, piano
Miguel Zenon, saxophone

Dan Tepfer, Miguel Zenon deux musiciens incontournables de la scène musicale d’aujourd’hui qui poursuivent un travail en profondeur, un savant mélange d’inspirations diverses, un équilibre entre l’innovation et la tradition, entre musiques couvrant le continent Amérique, musique occidentales européennes et couleurs africaines. Construit autour d’un noyau de quatre compositions de Miguel l’album comprend également de nouvelles compositions de Dan écrites spécifiquement pour le duo, ainsi qu’une relecture de Fanfares du compositeur György Ligeti auquel le jazz n’était pas indifférent et un clin d’œil à Lee Konitz compagnon musical de Dan et un des inspirateurs de Miguel à travers la composition 11 317 E 32nd St de Lennie Tristano. Si, à l’évidence, l’improvisation est une constante de leur musique, on peut largement admettre que la composition écrite est aussi une de leur force. Des thématiques originales issues des racines musicales multiples des deux hommes, les questions réponses, les intrications contrapuntiques et harmoniques donnent à ce disque une beauté plastique indéniable. Si c’est là leur premier disque, le duo n’en est pas à ses débuts, une dizaine d’années de rencontres et de performances leur donnent une maturité dont on attend avec espoir les futurs développements. Par les temps désespérants qui courent ce n’est pas rien l’espoir.


https://www.dantepfer.com/
https://miguelzenon.com/


  SAM NEWSOME, JEAN MICHEL PILC - Cosmic Unconsciousness Unplugged

Sam Newsome, saxophone
Jean-Michel Pilc, piano

Essayer, réessayer des standards mille fois rabâchés comme All the things, How deep is the ocean, Take the A train, eux que l’on croyait essorés, vidés de leur substance. Et bien non, certains trouvent encore les moyens de nous en révéler d’ultimes et infinies possibilités. Il faut être assez libéré des contingences, remettre son esprit à zéro, oublier son expertise tout en ayant les moyens. La tâche est ardue. Et c’est bien ce concept qui est mis à l’œuvre dans cet enregistrement, ça marche ou ça ne marche pas. On devine même qu’il n’y ait eu aucune répétition, presque pas de paroles, même pas de seconde prise, uniquement de la spontanéité entre le saxophoniste soprano Sam Newsome et le pianiste Jean Michel Pilc. Il est vrai qu’ils sont des habitués de la prise de risques, qu’ils ont les moyens artistiques de laisser la musique s’épanouir, spontanéité contrôlée en quelque sorte. Il est vrai également qu’ils sont prêts à faire appel à d’autres modes de jeux. Ainsi sur leur composition Cosmic Unconsciousness Unplugged il est parfois bien difficile de dire qui fait quoi tellement leurs instruments sont malaxés, triturés et si c’est remarquable l’important est pourtant l’histoire que tous les deux nous racontent. Des beaux moments poétiques de Bittersweet Euphoria, Take the A train à la relecture de Solitude, bienvenue dans ce monde où l’intelligence musicale est à l’œuvre.


http://somenewmusic.com/
https://jeanmichelpilc.com/