Le batteur canadien Karl Jannuska et le contrebassiste suédois Anders Jormin ont en commun une fascination pour la voix. La preuve avec leurs disques récents.
Sommaire :
- Karl JANNUSKA : "The Halfway Tree"
- Anders JORMIN : "Ad Lucem"
- Les références
L’un, Karl Jannuska, est canadien d’origine mais mène sa vie musicale à Paris. L’autre, Anders Jormin est suédois et on l’entend assez peu, trop peu sans doute, sur les scènes de notre Hexagone.
Chacun de leurs disques récemment parus nous rappelle combien ces deux musiciens ont une forte personnalité musicale.
On les rapproche ici car ils ont choisi de donner une place particulière à la voix dans "Ad Lucem" que le contrebassiste publie sur ECM et dans "The Halfway Tree" que le batteur vient de rendre public sur le label Paris Jazz Underground dont il est un des acteurs efficaces.
La première écoute laisse une impression étrange.
Pour qui connaît et aime Streaming (2010 - OUI !), précédent album du batteur-compositeur canadien, on pourra ressentir une impression de déjà entendu...
C’est bien normal. La musique de Karl Jannuska est assez originale pour ne pas laisser indifférent. Ce nouvel album nous replonge donc dans un univers presque familier où les instruments et la voix (...superbe de Sienna Dahlen) se rejoignent pour composer un maillage dense toujours mouvant. Une sorte de cantate moderne autour de textes originaux pour célébrer une union musicale quasi-parfaite entre voix humaine et voix instrumentales.
The Halfway Tree, c’est un grand peuplier qui balise fièrement l’autoroute n°1 entre Brandon et Winnipeg au Canada. Une manière symbolique de souligner que cette musique au développement souvent linéaire (mais jamais ennuyeux) est un point de rassemblement entre l’Amérique, berceau du jazz et de la culture rock et l’Europe riche d’une belle et longue histoire musicale "sérieuse" et "savante".
Avec la complicité de deux amis canadiens dont Sienna Dahlen (déjà présente dans Streaming), de trois français et d’un belge (Nicolas Kummert), Karl Jannuska peut mettre en forme de belle manière ses conceptions de l’harmonie et de la mélodie. Chez lui, le rythme ne prime pas. C’est surprenant à première vue de la part d’un batteur mais pas vraiment quand on connaît la grande modestie de l’homme qui est pourtant un des rythmiciens les plus sollicités dans le jazz actuel et un formidable maître du temps entre rigueur et inventivité.
Karl Jannuska nous invite donc à embarquer pour un nouveau voyage musical à travers des paysages impressionnistes sur des textes originaux écrits par lui-même ou Sienna Dahlen. Remarquablement entouré par des musiciens dont les qualités sont largement reconnues, il propose une forme de jeu collectif qui permet à chacun de s’exprimer tout en évitant l’opposition systématique solistes-accompagnateurs. Cette musique est en mouvement(s) perpétuel(s), envoûtante et fascinante sur des mélodies dont la beauté n’a d’égale que le simplicité. Du grand art assurément.
Inclassable et, en cela indispensable !
Dès la seconde écoute, on aime !
Le contrebassiste suédois Anders Jormin aime jouer avec et pour des vocalistes. On ne prendra pour preuve que sa fructueuse collaboration avec la chanteuse Sinikka Langeland (The Land That Is Not - dec. 2011 - OUI !).
Dans ce nouveau projet qui paraît sur le label ECM, il habille la musique vivante, ouverte et libre de son trio de deux voix féminines. Évitant le piège du décor "environnemental" tout autant que celui de "l’appel des voix" (pour séduire...), il construit un répertoire original par l’utilisation de textes essentiellement en latin !
On aurait pu craindre une tentation de nouvelle fusion entre jazz et musique ancienne mais le piège est parfaitement évité et le répertoire original de ce disque est assez singulier et personnel pour retenir l’attention... et plus.
Bien que relativement jeune (encore... né en 1957 !), Anders Jormin a eu une carrière musicale déjà bien remplie, riche de rencontres (Don Cherry, Thomas Stanko, Bobo Stenson...) dont il a retiré une expérience reconnue de contrebassiste, un intérêt marqué pour des formes musicales libres, ouvertes à l’improvisation et aux aléas du jeu collectif mais aussi une certaine conception de l’architecture musicale aérée et simple.
Tout au long de ce disque, les deux voix évoluent en parallèle, en opposition, en contraste pour envelopper les lignes musicales contrastées dessinées par un trio où se distinguent, autant que le leader, le saxophoniste-clarinettiste Fredrik Ljungkvist et le batteur Jon Fält, membres tous les deux du quintet suédois Yun Kan 5, donc très complices et totalement portés par ce projet. (NB : Ljungkvist fait éfgalement partie du remarquable groupe "Innkvisitio" du saxophoniste finlandais Mikko Innananen.)
Cette fois, on notera que le label ECM oublie un peu les effets nébuleux et réverbérés qui enveloppent souvent ses productions scandinaves pour un son plus brut, plus authentique qui met encore mieux en valeurs le travail de l’ensemble.
Un disque original à découvrir : une autre voie pour les voix ?
> Karl JANNUSKA : "The Halfway Tree" - PJU records PJU009 / www.cdbaby.com
Karl Jannuska : batterie, percussions, compositions, textes / Sienna Ahlen : voix, textes / Olivier Zanot : saxophone alto / Pierre Perchaud : guitares électrique et acoustique / Tony Paeleman : piano, fender Rhodes / Andrew Downing : violoncelle à 5 cordes
01. Put an Apple in your life / 02. Coldest day of the year / 03. Alerces / 04. Precious things / 05. Smokescreen / 06. Million miles away / 07. Firloupe / 08. One droning pedal tone / 09. Lilac by night / 10. Noble energy / 11. Four-leaf clover
> Anders JORMIN : "Ad Lucem" - ECM 278 6145 / Universal Music France
Mariam Wallentin : voix / Erika Angell : voix / Fredrik Ljungkvist : clarinette, saxophone ténor / Anders Jormin : contrebasse / Jon Fält : batterie
01. Hic et nunc / 02. Quibus / 03. Clamor / 04. Vigor / 05. Inter semper et numquam / 06. Lignum / 07. Matutinum / 08. Vox animæ / 09. Vesper est / 10. Lux / 11. Cæruleus / 12. Matutinum – Clausula