En trois disques assez récents, on découvre la richesse et la diversité du travail d’Alex Huber, batteur, compositeur et improvisateur suisse.
En trois disques assez récents, on découvre la richesse et la diversité du travail d’Alex Huber, batteur, compositeur et improvisateur suisse.
Sommaire :
- CHIMAIRA / Alex HUBER : "Smoke & Mirrors"
- Lauren KINSELLA & Alex HUBER : "All This Talk About"
- Raffaele BOSSARD’s JUNCTION BOX : "Adumbration"
- Références
- Liens
Alex Huber est né à Zug, en suisse allémanique en 1982. Élève de Lucas Niggli, Dejan Terzic et de Pierre Favre à l’école de musique de Lucerne, il a aussi fréquenté les master-classes de Jim Black et Tim Berne, entre autres, et fréquenté les milieux new-yorkais du jazz créatif pour quelques leçons avec Ari Hoenig, John Riley ou Ali Jackson... Belles références qui permettent aussi de situer les aspirations musicales : Alex Huber ne se limite pas à un rôle de rythmicien, il pense la musique dans sa globalité, les oreilles grandes ouvertes comme le suggère le jeune label dont il est co-fondateur : WideEarRecords.
Si vous livrez son nom au "Grand Google qui sait tout", vous verrez qu’il a homonyme germanique, grimpeur de l’extrème, nettement plus chevelu et barraqué. On se gardera de les confondre pas même si notre Alex Huber n’est pas un homme des voies faciles. Il aborde la musique par des pistes détournées, en préférant la matière musicale granuleuse, riche en aspérités, en privilégiant la beauté du geste esthétique et en évitant méthodiquement la facilité des pistes trop fréquentées.
Bien que toujours ancré au bord du beau lac qui baigne sa ville natale de Zug, il passe aussi pas mal de temps à Berlin, ville dont on vante toujours la vitalité créative sur le plan artistique.
Disons-le d’entrée, nous ne connaissions guère ce musicien dont nous n’avions eu qu’un aperçu du travail dans le disque "Not all birds play be-bop", en sideman du guitariste allemand Urs Voegli (chronique de juin 2009 - Label MetaRecords). On notera qu’il y était associé au contrebassiste Raffaele Bossard qui figure également dans cette sélection, en leader du quartet Junction Box.
Puisqu’après quelques péripéties postales, ces 3 disques récents du catalogue WideEarRecords nous sont tout de même parvenus, nous ne manquerons pas l’occasion d’écouter et de découvrir avec intérêt ce(s) musicien(s) talentueux et prometteur(s).
La production la plus récente du label WideEarRecords présente le batteur Alex Huber dans le contexte d’un quartet où il se positionne en leader discret (compositeur de la totalité des pièces) en étroite complicité avec un trio de musiciens berlinois très affûtés.
La formule est assez classique sur le plan instrumental dans le jazz moderne : saxophone, piano, contrebasse, batterie... On connaît de belles références et on ne manque pas d’y penser.
Cependant, Chimaira sonne comme un vrai groupe sans voix dominante puisqu’il privilégie un travail sur le son et préfère les entrelacs du jeu collectif à une succession de performances individuelles.
La musique de ce beau disque se présente comme une sorte de suite et s’écoute donc dans un ordre établi qui permet de se plonger totalement dans une atmosphère qui correspond bien au titre choisi : aspect vaporeux, diffus et flottant de la fumée (Smoke) occupant les espaces laissés à l’imagination des quatre complices et la précision de compositions en jeu de miroirs, agencées avec finesse pour jouer sur des structures réitérées, des séquences juxtaposées. On n’a cependant jamais la sensation d’une recherche formelle. La musique se construit et se développe naturellement.
Une production très convaincante, jamais déroutante de la part d’une formation où se distingue, outre le batteur-compositeur-leader, le pianiste John Schroeder qui possède un sens remarquable de l’occupation de l’espace sans jamais être envahissant.
Quand on sait qu’Alex Huber compte parmi les professeurs qui l’ont guidé sur la voie du jazz et de l’improvisation un certain Pierre Favre, on aura vite fait de rapprocher ce duo de celui que formèrent jadis Pierre Favre et la vocaliste Tamia.
Mais il y a bien des manières d’aborder le dialogue entre une voix et un ensemble plus ou moins fourni de percussions. Lauren Kinsella et Alex Huber ont évité l’écueil de l’improvisation totalement libre (avec tous les clichés du genre) pour se tracer un chemin commun en suivant les écrits du poète britannique Ted Hughes.
On se laisse vite captiver et emporter par la fraîcheur de leurs propos. Chacun joue en étroite complicité avec l’autre et la vocaliste irlandaise se révèle être une excellente spécialiste de ce genre d’exercice souvent périlleux. On pense parfois à Elise Caron pour l’expressivité de la voix ou à Émilie Lesbros pour le côté naturel du cheminement improvisé (pour prendre des références franco-françaises !).
Dans ce contexte intimiste, Alex Huber se positionne en percussionniste très attentif, vraiment engagé dans le challenge, mêlant avec une grande pertinence les composantes rythmiques et mélodiques en développant une belle palette de couleurs percussives d’où est exclue toute tentation de démonstration technique.
Un disque inventif et poétique qui requiert une écoute attentive, disponible et consentante de l’auditeur mais qui apporte beaucoup de plaisir.
Comme nous l’évoquions un peu plus haut, le batteur Alex Huber et le contrebassiste Raffaele Bossard ont une certaine expérience du jeu en commun dans le contexte de petites formations mais toujours au service de musiques inventives qui se rattachent sans complexes ou faux-semblants à l’esprit du jazz. C’est ainsi que nous les avions découverts dans la quartet du guitariste allemand Urs Vögli en 2009.
Cette fois, c’est le contrebassiste qui mène la danse, sans toutefois jouer les leaders démonstratifs. Ce n’est pas l’esprit de cette musique qui joue sur les alliages d’instruments à anches (saxophones et clarinettes) sur la base d’une thématique qui sait rester simple. Les mélodies sont souvent paisibles et envoûtantes. On ne peut s’empêcher de penser aux débuts du contrebassiste Dave Holland en tant leader sur ECM avec le mythique album "Conference of The Birds" (1972) dans lequel s’entremêlaient les voix instrumentales de Sam Rivers et Anthony Braxton.
Sans chercher à inventer inutilement des formes compliquées, Raffaele Bossard et Alex Huber laissent la musique se développer et prendre son essor par une écoute attentive des deux vents de l’ensemble.
Là encore, le jeune label WideEarRecords a fait un beau travail de production avec ce disque dont la finesse musicale s’allie parfaitement à sa réalisation visuelle : un jeu de lignes mêlées entre abstraction et figuration avec des espaces restés ouverts pour l’imagination et le plaisir de l’écoute.
À découvrir...
Ces trois disques ne présentent qu’un aperçu des premières productions d’un label encore neuf mais ils permettent de bien dessiner les contours de choix esthétiques qui illustrent une conception ouverte et inventive du jazz et des musiques improvisées.
Une bonne piste d’inspiration pour les programmateurs en quête de nouvelles "têtes de jazz" (comme on dit à l’AJMI d’Avignon !) pour nos scènes françaises.
CHIMAIRA / Alex HUBER : "Smoke & Mirrors" - WideEarRecords WER006 / disponible sur www.wideearrecords.ch/Chimaira - (parution le 05/04/12)
Philipp Gropper : saxophones / John Schröder : piano / Oliver Potratz : contrebasse / Alex Huber : batterie et compositions
01.Dove / 02.Rot / 03. Bravo Echo / 04. Two Birds / 05. Passage / 06. Fragments / 07. Stellar / 08. The Stranger / 09. The End // Enregistré aux Studios Bauer de Ludwigsburg (Allemagne) en juin 2011.
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Lauren KINSELLA & Alex HUBER : "All This Talk About" - WideEarRecords WER002 / disponible sur : www.wideearrecords.ch/Kinsella-Huber - (paru le 01/02/12)
Lauren Kinsella : voix, électronique / Alex Huber : batterie, percussion, melodica
01.Thought Fox / 02.Except In My Dreams / 03. Thought-Fox / 04. They Don‘t Mind / 05. Throwing Back / 06. Thought-Fox 3 / 07. All This Talk About // Compositions : Alex Huber and Lauren Kinsella. Pistes 1, 3 & 6 inspirée par les textes de Ted Hughes "The Thought-Fox" ("Hawk In The Rain"). Enregistré à Berlin le 11 septembre 2010.
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Raffaele BOSSARD’s JUNCTION BOX : "Adumbration" - WideEarRecords WER005 / disponible sur : www.wideearrecords.ch/Junction-Box (paru le 05/03/12)
Tobias Meier : saxophone alto et clarinette / Rafael Schilt : saxophone ténor et clarinette basse / Raffaele Bossard : contrebasse, composition / Alex Huber : batterie
01 - Crossfire / 02 - N.O.D / 03 - Shapeshifter / 04 - Morningside Road / 05 - Mothership Stories / 06 - Some Other Sketches / 07 - Blue Box / 08 - For Jones (feat. Dave Giesler) // Enregistré à Lausanne en septembre 2011