Une voix à la croisée des genres.

après un concert en deux sets au Chorus de Lausanne (avec Karl Jannuska, Matyas Szandai et Roberto Pianca), le 26 janvier dernier, concert qui résonne encore à nos oreilles, Sienna Dahlen et moi décidâmes, d’un commun accord, de reporter l’interview initialement prévue ce jour-là et de laisser reposer les mots pour mieux les ordonner. Cet entretien s’est donc construit autour d’un échange nourri de courriels transatlantiques, méthode idéale pour tordre le cou aux hésitations linguistiques, faire un sort aux désaccords syntaxiques et approcher les vérités multiples du mot « chant ».


Lyon - Toronto, 1er au 8 février 2013

Un jour, tu as chanté et, un autre jour, tu as pris conscience que le chant était en toi. A quelle époque était-ce et quel fut ton ressenti ?

Sienna Dahlen
Yves Dorison

Le jour où je me suis vraiment rendue compte que je pouvais chanter seule devant un public et ressentir un grand plaisir, c’était au secondaire lors d’un solo que j’avais dans la pièce de théâtre musicale, Grease, quand j’avais 17 ans. Avant ça, je chantais simplement pour moi-même. Quand j’étais petite, je connaissais toutes les paroles des chansons du groupe canadien, The Irish Rovers. Je les ai adorés et surtout la chanson, « The Unicorn » ! Je la chantais sans arrêt. Mais, je n’avais jamais pensé à devenir chanteuse avant ce moment déclencheur à l’école.
Ce jour-là, j’ai ressenti une liberté absolue !
J’avais fait plein d’années de récitals au piano et je détestais la pression que ça me mettait à chaque fois. J’aimais beaucoup jouer du saxophone alto dans l’orchestre communautaire mais il n’y avait rien d’aussi intense que le chant.
C’est une chance que j’aie découvert ce moyen d’expression si vital et profond en moi !

Comment ce chant évolue-t-il avec le temps ?

Je crois que ma voix devient de plus en plus primitive. Je voudrais dire qu’aujourd’hui je me concentre davantage sur le chemin qui mène à la vérité en moi à travers cette voix. Peu importe les imperfections. Si ça sort rude, si ça sort beau, si ça sort tout croche... ça m’est égal. Ce qui compte c’est que ça sorte !
Chaque note est un reflet de mon être intérieur, ce qui est forcément, aussi, une traduction de la réalité qui m’environne dans l’instant. Et même si je travaille actuellement un son plutôt peaufiné, je trouve qu’avec les années j’accepte, et j’invite quasiment, un son qui sort d’ailleurs. Je vais à la rencontre de mon alter ego, si tu veux.

La voix intérieure qui donne naissance au chant est-elle plus puissante que la raison ? Peut-elle dépasser tes choix conscients ?

Je crois que la voix intérieure Est la raison. Quand on se laisse aller dans la vie, dans le chant, dans une forêt, dans l’amour – quand on échappe à ce qui nous ligote, on donne naissance à la voix qui chante. Ce fut et c’est encore une sensation euphorique.

Tu composes, tu écris. Quel imaginaire nourrit ta création ?

Sienna Dahlen
Yves Dorison

Avant tout, je crois que j’essaie de mettre de la musique sur mes émotions. Je suis très attachée à mes chansons mais principalement quand je suis en train de les chanter. Je peux me sentir assez détachée de mon travail, mais dès que je chante, les chansons prennent une autre vie. L’aspect « impro » est très important pour moi. Ça garde une certaine spontanéité qui rend la vie plus intéressante.
Concernant les sujets de mes créations, ils sont souvent nés de la tristesse. J’aime aussi écrire sur les histoires des autres. Quelquefois sur la Terre. Souvent l’amour. Par le passé et encore plus récemment sur la spiritualité. La mort. Pas assez souvent sur ma famille.

Le monde autour de toi. Quelle est son influence sur ton travail.

Tout ce qui est imprévu me marque. J’aime les drames. Je suis attirée par les catastrophes. Je suis intriguée par ce que je ne comprends pas. Je n’écris pas régulièrement. La vie me donne des signes et je les suis, quelquefois en chanson et d’autres fois autrement. Un jour, par exemple, une amie m’a envoyé la chanson « Le vent nous portera » de Noir Désir et j’étais très touchée par elle.

Quelle est la valeur du silence dans l’âme d’une chanteuse ?

J’adore le silence.
Il y en de moins en moins dans notre société. Je crois qu’un jour ça va me rendre dingue ! Et pourtant, j’ai choisi de vivre dans la plus grande ville du Canada.
Trouver le silence parmi la cacophonie est peut-être le plus important de mes défis personnels ! Tout ce qui est beau existe dans les contrastes. C’est pour cette raison que l’art est si important. C’est ce qui nous fait écouter, regarder, questionner, toucher, sentir et se sentir. Pour une chanteuse ou un chanteur et n’importe quel autre joueur de son, c’est le silence qui fait sortir les idées, les réponses, les actions.

Pour « Into the beautiful » il a fallu que tu approches la poésie d’un auteur et l’intimité du duo piano / voix. Qu’as-tu retiré de cette expérience ?

J’ai déjà interprété de nombreuses fois les chansons des autres en faisant des standards de jazz et quelquefois des covers pop. Pour cette raison, ça ne m’a pas paru bizarre de chanter des textes d’Emily Dickinson. La chose qui était peut-être moins évidente pour moi, au début, c’était la forme de l’écriture... un style assez singulier qui vient d’une autre époque. Je me sentais beaucoup moins attachée au fil de l’histoire dans ses textes, comparativement aux miens, mais en même temps, il y avait un rythme et un anticonformisme uniques qui m’intéressaient beaucoup.
De plus, la façon dont Amy Gamlen à réussi à intégrer sa musique avec ces textes m’a plu immédiatement. Quant à l’enregistrement, elle nous a donné, à Dave Restivo et moi, carte blanche par rapport aux sections d’impro, aux introductions, etc. Je me sentais donc très libre.
En général, Dave et moi sommes très à l’aise en duo et j’adore les situations intimes en musique car elles sont à la fois dangereuses et libératrices.
Cet album, c’est un petit cadeau.

Quelque chose que tu as envie de dire…

Je voudrais être capable de me situer au cœur de la lumière pour mieux apprécier et exprimer ce que je ressens. C’est un travail en cours...

.::Propos recueillis par Yves Dorison: :.


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