Un "Live au Petit Faucheux" qui fait jaser...

Il y a des disques et des formations qui suscitent des débats et déchaînent les passions. C’est le cas de Ping Machine, un des fleurons des Grands Formats à la française avec son dernier album "Encore !"... On en parle encore !
Après l’article de Philippe Paschel (lire : "Musique française" - 22 septembre 2013), celui de Pierre Gros qui développe son propre argumentaire...

Il est toujours intéressant d’écouter l’enregistrement en public d’un ensemble comme Ping Machine, on en apprend beaucoup sur la musique, sur le public, sur les écoutants. Ce que l’on perd en précision sonore on le gagne en spontanéité, le jeu en vaut la chandelle et la musique quand elle est là, ne se noie pas dans l’Ether.

PING MACHINE : "Encore – Live au Petit Faucheux"
NEUKLANG / Abeille Musique

Ce disque commence de façon mystérieuse, par petites touches : accords tendus, éléments sonores et leitmotiv mélodique vont courir tout au long des trente deux minutes d’Encore première pièce du concert, mettant en scène un à un des solistes toujours passionnants : saxophone ténor, trompette, chorus à deux saxophones alto, chorus vibraphone/batterie. Pas un seul moment d’ennui ou de lourdeur mais de la passion, de la fraicheur, rien d’effrayant mais de la subtilité dans cette pièce en forme d’arche.

Poursuivons notre voyage. Grrr…, seconde composition s’ouvre sur le souffle rageur d’un saxophone baryton, qui entraine l’orchestre dans son sillon. "Creuse, creuse petit baryton" serait on tenté de dire, sauf que là ça creuse grave. Le piège fonctionne et nous nous laissons emporter par cette puissance orchestrale qui balaie le spectre sonore de la formation.

Troisième et dernier étage de la fusée, Trona s’avère quant à elle la composition la plus ambitieuse de ce triptyque. La plus effrayante (on tremble dans les chaumières), la plus audacieuse. Et ça commence par des sons (trompettes bouchées, masse orchestrale, flûte) venus d’un outre-espace qui ne manquent pas d’humour et de suspens. Aidée par la section rythmique, une guitare hendrixienne met en forme et lance le riff qui est le fil conducteur du morceau et propulse le saxophone soprano dans le ciel. Comme le serpent il se glisse dans les méandres des backgrounds qui l‘entourent. Malin, l’animal prend de la hauteur vers les étoiles, pour laisser conclure l’orchestre dans des tutti à faire frémir et s’abandonner comme il avait commencé dans l’espace temps…
J’arrête là mon délire à chacun d’aller vérifier en écoutant ce (très recommandé) disque.

Le concert se finit ; apparemment au vu de leurs réactions, les spectateurs ont pingué.

Identité musicale et swing

En cherchant un peu il est possible de se demander après ça, ce qu’est la musique française.
Rassurez-vous, je ne vais pas remonter jusqu’à Léonin et Pérotin, restreignons nous au jazz… français (ça existe ?), à ce que veut dire swing (voilà encore un mot impossible à traduire) pour ce genre de formation qui a, entre autre, par moments, des accents à la Thad Jones (c’est que ça swingue ça !!!), mais pas seulement. Je n’ai aucune explication, encore moins théorique, autre que tripale voire freudienne, mais là ça m’échappe, à donner à un phénomène, le swing, né de l’histoire cataclysmique d’une nation fondée à partir du rêve européen d’une terre promise et vierge, de l’esclavagisme et de l’éradication génocidaire d’un mode de vie. On ne va pas non plus refaire la querelle du bon vieux temps contre le monde froid d’aujourd’hui, figues moisies contre raisins aigres.
D’ailleurs, cette formation associe de manière subtile, musiciens formés à l’ancienne et jeunes pousses issues des écoles.
Donc y a-t-il un jazz français ?
À l’écoute en aveugle de ce disque, je défie quiconque de dire si c’est du français ou du barbare (sens grec du mot). Toujours est-il que l’on se trouve face à un manifeste musical non politique ou philosophique qui en dit beaucoup plus long qu’un grand discours politique ou philosophique sur une époque, et qu’il est bien difficile de rester insensible pour moi à cette musique puissante et pleine de relief, hirsute à tous les rabâchages et tous les clichés mille fois entendus, que l’on voudrait en plus nous ressasser à l’infini. Le jazz lui n’est pas clos et fini, prions pour qu’il ne se cogne pas trop la tête contre les murs de l’incompréhension comme ça a souvent été le cas dans l’histoire des arts. N’en doutons pas, ce disque serait montré du doigt par le clergé du Lincoln Center excommuniant et condamnant à l’avance toute déviance coupable et livré à la doxa, au piétinement, au bucher (l’horreur). Ce jazz réserve mille impressions et un souhingue (essai phonétique) ravageur.

Ce disque fait bouillir les neurones à CultureJazz et tous les gouts sont dans la nature, encore heureux et on peut ne pas apprécier cette musique.
Moi j’ai pingué !


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PING MACHINE : "Encore – Live au Petit Faucheux" - NEUKLANG NCD4072 / Abeille Musique

Bastien Ballaz : trombone / Stephan Caracci : vibraphone, glockenspiel & autres percussions / Guillaume Christophel : saxophone baryton & clarinette basse / Andrew Crocker : trompette / Jean-Michel Couchet : saxophones alto & soprano / Fabien Debellefontaine : saxophone alto, clarinette & flûte / Florent Dupuit : saxophone ténor, flûte, flûte alto & piccolo / Quentin Ghomari : trompette & bugle / Didier Havet : trombone basse & tuba / Paul Lay : piano, Fender Rhodes & minimog / Rafaël Koerner : batterie / Frédéric Maurin : guitare, minimog & direction, compositions, arrangements / Fabien Norbert : trompette, trompette piccolo & bugle / Raphaël Schwab : contrebasse / Julien Soro : saxophone ténor & clarinette

01. Encore (première partie) / 02. Encore (deuxième partie) / 03. Encore (troisieme partie) / 04. Encore (quatrieme partie) / 05. Grrr... / 06. Trona (6am) / 07. Trona (12pm) / 08. Trona (6pm and 12am) // Enregistré en concert au Petit Faucheux à Tours les 22 et 23 mars 2013.

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