Depuis douze ans, « Jazz au Théâtre Denis » prolonge la magie du festival Jazz à Porquerolles dans le théâtre de poche à l’italienne, magnifiquement restauré par la ville d’Hyères.
Ce fut une belle soirée le vendredi 30 septembre au Théâtre Denis, pour clore l’été et fêter un début d’automne en beauté. La meilleure façon de contrer le blues qui accompagne souvent la fin des festivals et en particulier celui de Jazz à Porquerolles ! (voir sur CultureJazz.fr, ici...).
En première partie un bel apéritif avec trois jeunes gens un peu fous ! Un Poco Loco apporte sa jeunesse et bouscule les codes dans un cadre des plus classiques tout en velours rouge cossu. Le public ne l’est pas moins et les avis contrastés à l’entracte. Sélectionné pour Jazz Migration en cette année 2016, ce trio emmené par le tromboniste Fidel Fourneyron avec Geoffroy Gesser au saxophone ténor et clarinette et Sebastien Beliah à la contrebasse, revisite le répertoire be-bop en le bousculant. Déstabilisant pour certains, comme cela fait du bien néanmoins d’entendre Un Poco Loco de Bud Powell, Tin Tin Deo ou Manteca de Dizzy Gillespie revus et corrigés dans des tonalités différentes par les trois musiciens ! Nous aurons également un aperçu du nouveau répertoire autour de West Side Story avec en particulier un Cool qui sortait de l’ordinaire, tout comme le Something’s Coming. Un très intéressant medley également à partir de deux morceaux de Kenny Dorham, Minors Holiday et Afrodisia achève une ( trop courte ) prestation haute qualité peut-être pas appréciée à sa juste valeur.
La vedette de la soirée très attendue des locaux (mais pas que) entre alors en scène. J’ai nommé la chanteuse Virginie Teychené, accompagnée de son fidèle trio, à savoir Gérard Maurin à la contrebasse, Jean-Pierre Arnaud à la batterie et Stéphane Bernard au piano. Originaires d’Aix-Marseille (excepté le pianiste), le public est présent à leur appel. Disons-le tout de suite, Virginie Teychené est une chanteuse exceptionnelle qui devrait jouer ailleurs et plus souvent. Sa présence sur scène est solaire et rayonne, sa voix est unique, chaude et un peu éraillée, pas du tout vaincue par un gros rhume qu’elle avait ce soir-là. Entendue pour la première fois à un festival qui se tenait à Avoriaz en 2012, elle m’avait immédiatement conquise. Tout comme son trio. Cette soirée n’a pas démenti mon impression. Nous avons eu droit à un joli mélange de ses précédents disques au registre "classique", et du tout dernier, le quatrième, paru en octobre 2015 " Encore". Celui-ci aborde la chanson française de façon osée, et j’ai presque envie de plagier Bashung dont elle reprend Madame Rêve ( ce n’est curieusement pas celle-là que j’ai aimé, préférant de loin la version masculine et inimitable du chanteur...).
Oui, Osez, Osez Virginie, car les autres reprises comme Le Petit Bal Perdu de Bourvil ( nommé C’était Bien ), ou À Bout de Souffle de Nougaro d’après le Blue Rondo à la Turk de Dave Brubeck, sont magistrales ! Je serai plus nuancée sur son brésilien ( un très beau duo épuré avec le batteur sur Doralice et un Eu Sei Que Vou Te Amar d’ Antônio Carlos Jobim et Vinícius de Moraes. Difficile de s’attaquer à un tel monument... Nous entendrons également Tight de la grande Betty Carter, Living Room dont les paroles ont été écrites sur une musique du batteur Max Roach, Good Bye Pork Pie Hat, thème écrit par Mingus en hommage à Lester Young qui venait de décéder deux mois auparavant. Joni Mitchell a mis les paroles dessus dans son album « Mingus ». Ces trois premières chansons sont dans l’album de Virginie Teychené « Bright And Sweet » consacré aux chanteurs et chanteuses qui écrivent aussi des chansons. En l’occurence, c’est un ami de Virginie, Marcus Malte auteur de romans noirs ( Le Garçon ) qui a écrit le très réussi Elle ou Moi sur une musique de Gérard Maurin. Le concert se termine sur I’m gonna Go Fishing dont les paroles ont été mises par la chanteuse Peggy Lee sur une musique composée par Duke Ellington pour le film d’Otto Preminger "Autopsie d’un Meurtre". Suivent deux rappels enthousiastes sur Lester Leaps In ( I got the Blues ), auto-hommage de Lester Young à lui-même, repris par le chanteur Eddie Jefferson sur un chorus du saxophoniste James Moody ! ( toutes les anecdotes sont malicieusement contées par Virginie ! ). Un dernier clin d’œil adressé au public masculin avec Shiny Stockings du saxophoniste Frank Foster et la salle conquise applaudit à tout rompre et se précipite à la séance de dédicace ! Je n’ose dire "Encore" ! Mais le titre de ce dernier disque est bien trouvé ! Pour achever de vous convaincre, relire l’article de notre confrère Michel Delorme à propos du troisième disque de la chanteuse (...lire ici...). Je termine en encensant également les musiciens qui l’accompagnent et qui sont juste parfaits. Brio du pianiste, vivacité du batteur et souplesse du contrebassiste, un trio de rêve pour madame ?