Avec les disques de Bruno CANINO – Enrico PIERANUNZI, Daniel ERDMANN’s Velvet Revolution, Marc PERRENOUD solo et trio, Enrico PIERANUNZI trio et Grégory PRIVAT trio.
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Autre facette du mélange des genres, Americas, en duo avec le pianiste classique féru de musique contemporaine Bruno Canino, s’attaque aux Amériques, nord et sud confondues. Sur un registre plus contemporain, le duo crée une sorte de genre augmenté et on ne saurait trop dire par quel biais ils arrivent à leurs fins. Une chose est sûre cependant, les frontières en prennent pour leur grade. Et comme dans le ménage à trois ci-dessous commenté, c’est bien la liberté d’expression musicale qui s’affiche en souveraine incontestable. Le pianiste romain et son acolyte napolitain démontrent à l’envi dans cet enregistrement qu’il est bon d’ériger l’anticonformisme en principe actif de la pensée, qu’elle soit musicale ou non, peu importe. Copland et Piazzola, Guastavino et Gershwin, entre autres, sont de la partie et, sous les quatre mains inflexibles des pianistes, dévoilent des sonorités nouvelles dont la densité ne peut qu’émouvoir. Savoir qui joue quoi et quand n’a aucune importance. La musique s’impose avant toute autre considération car, comme le dit joliment Bruno Canino, l’interprète ne doit qu’un honnête courtier entre ceux qui ont écrit la musique et ceux qui l’écoutent. Ébouriffant.
P.S. Vous pouvez également écouter le beau disque de la pianiste classique Lara Downes intitulé « America again » qui offre une approche différente de nombres de thèmes traditionnels ou en passe de le devenir. C’est sur NPR : www.npr.org/lara-downes-america-again et c’est fort beau.
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Cher Monsieur Erdmann,
Ce n’est pas la première fois que je chronique un de vos disques et je vais devoir encore écrire sur ce qui m’interpelle et m’émeut dans votre musique, tant et si bien que lecteur assidu de CultureJazz va croire que je suis corrompu par vos soins ou pire, que je suis un adepte inconditionnel de l’axe franco-allemand, ou pire encore que je suis actionnaire chez Kaufhof ; à moins que je sois fan ultime des Biscuits Fossier… Ce serait injuste car je vais me contenter d’affirmer, en toute impartialité, que votre dernière création mérite d’être écoutée par le plus grand nombre.
Voyez-vous, il y a d’abord cette alliance intrigante des timbres entre le violon, le vibraphone et votre ténor, qui requiert une attention soutenue. Et puis toujours cet art de la mélodie qui explore avec une apparente simplicité des recoins oniriques où l’on sent poindre, dans votre souffle, qui sait, un regard amusé, un clin d’œil nostalgique ou le soupçon d’une ire salvatrice. De cet espace intime, offert en partage, je retiens la profonde sensibilité, l’originalité artistique du propos et la conviction forte qui l’habite. De fait, vous écrivez une musique très humaine. Et le savez-vous ? C’est plus inaccoutumé qu’il y paraît (et des disques, croyez-moi on en écoute par centaines à CultureJazz). Est-ce dû à la densité presque charnelle de votre son ? Je n’y mettrais pas ma main à couper, j’en ai encore besoin… Une chose est cependant certaine, Théo Ceccaldi et Jim Hart siéent idéalement à l’expressivité de votre univers dénué de frontières. Il fallait juste oser la greffe et laisser faire le désir de musique. Ceci dit, je vous en supplie, calmez-vous un peu. J’en ai marre d’être dithyrambique, even for a short moment.
Avec mes sincères salutations.
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Premier disque en solo du pianiste suisse de 35 ans qui sort en France quasi-simultanément avec son disque en trio, voilà une jolie pépite qui démontre la vivacité et l’étendue de la palette de cet artiste. Quand le trio part sur des chemins plus avant-gardistes, Marc Perrenoud seul sur son piano apporte son eau au moulin d’un jazz solide et éternel, celui qui nous fait sentir profondément vivant. Parti en tournée à Beyrouth il y a plus d’un an, il y a rencontré l’Amour dans le quartier d’Hamra et ce disque sonne comme un chant magnifique à l’Aimée dès la reprise inspirée de All The Things You Are, un des standards de jazz les plus populaires écrit par Jérôme Kern à la fin des années trente. Point de mélodies orientales, bien au contraire. Poésie et émotion y transpirent partout comme dans le second titre Tyomyana Noch, mélancolique mélodie d’amour russe au milieu de la guerre. Les standards y sont magnifiés comme le Nica’s Dream d’Horace Silver où Marc Perrenoud montre son talent d’improvisateur. Et de créateur comme ce si joli Clouds for Dima ( prénom arabe signifiant « petit nuage » ) à la jolie couleur classique ; ou le tonique et répétitif Vestry Lamento du titre de son troisième et remarqué album en trio que j’avais déjà beaucoup aimé. J’avoue ma préférence pour la sensible Conversation With Nino, suivi d’un exercice de style façon Bach avec Quintes, tandis que sa version de Naima nous emmène à nouveau par petites touches légères dans les nuages. Contraste à nouveau avec Rhythm Games imprimant sa marque de petit jeu musical avant la relecture presque intégrale de la musique de Wojciech Kilar dans Le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault qui sonne comme un adieu à l’enfance. Pas une seconde d’ennui en écoutant cette musique pleine d’ombres et de lumières conçue dans une ville où l’urgence de vivre et d’aimer se ressent à chaque instant. Comme l’urgence d’écouter ce pianiste impressionniste...Un beau cadeau à s’offrir et à offrir !
> Relire notre collègue Yves Dorison qui l’avait également beaucoup apprécié ce printemps à Lausanne : Lire ici sur CultureJazz.fr...
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Impossible de ne pas parler après Hamra en solo, du quatrième disque en trio du même pianiste suisse Marc Perrenoud qui parait dans la foulée du premier. Voilà une seconde occasion de dire mon admiration pour ce musicien. Le trio fête ses dix ans d’existence et assoit ainsi sa réputation dans l’art du trio piano basse batterie, avec les deux excellents complices du pianiste, Marco Müller à la contrebasse et Cyril Regamey à la batterie. Le mystère est toujours grand quand un disque vous fait plonger d’entrée de jeu, c’est le cas de le dire avec Aegean en référence certainement à la mer Egée, qui vous attrape et ne vous lâche plus. Marc Perrenoud a la faculté de pratiquer le grand écart, autant dans le style que dans les paysages déployés, puisque de la mer Egée, nous survolons le calme et paisible village suisse Arolla. Sentez l’enjoué Color Nine précédant le puissant et grave Overseas souligné superbement par la contrebasse. Serait-ce la joie quelque peu teintée d’angoisse de partir retrouver l’Amour au-delà des mers ? Des images presque paradisiaques d’un monde meilleur et idyllique passent par la version remaniée de Nature Boy dont le pianiste a dû faire son antienne du début à la fin : « There was a boy, A very strange enchanted boy, They say he wandered very far, very far, Over land and sea, A little shy and sad of eye, But very wise was he ...The greatest thing you’ll ever learn, Is just to love and be loved in return ». La révolte gronde dans ce monde tourmenté ( Industry ) qui dresse les uns contre les autres et n’aime pas les mélanges. Élevons nous alors en Big Zeppelin aérien au dessus des turpitudes, voilà ce que le trio souhaite à chacun. De la douceur et de la délicatesse par dessus tout.
Un beau voyage.
> À cette occasion, relire l’article élogieux de notre collègue Pierre Gros à propos du trio en 2013 : sur CultureJazz.fr, ici...
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Enrico Pieranunzi a, depuis belle lurette, fait son coming out. Non content d’être un repère incontournable de la scène jazz mondiale, il fricote aussi ouvertement avec la musique classique. Passé la soixantaine, il a infléchi son parcours jazz et mis en avant son goût du risque pour le mélange des genres, quitte à froisser quelques puristes. Son Ménage à trois avec André Ceccarelli et Diego Imbert, est un bel, un brillant, exemple de ce qu’une intelligence musicale participative peut créer. Personne ne doutera un instant que c’est un disque original de jazz. Les mélodies sont là, l’interplay fonctionne à plein, rien ne laisse supposer que la musique classique se terre dans ces accords si évidemment jazzy. Et pourtant, c’est bien de classique qu’il est question. Il suffit de lire la pochette pour le savoir. Debussy, Satie, Schumann, Fauré, Liszt, Milhaud ou Bach, tous passent dans la moulinette d’un trio diablement persuasif et homogène, en tous points confondant d’aisance et de swing, de lyrisme et de justesse harmonique. Ébouriffant.
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Entendu cet été au festival Jazz à Junas avec le trompettiste et maître du gwoka Franck Nicolas ainsi qu’avec le saxophoniste Jacques Schwarz-Bart et précédemment avec le percussionniste Sonny Troupé, impressionnée par son jeu très fluide, mon oreille ne pouvait qu’être attentive à la sortie du disque en trio du pianiste Grégory Privat. Avec Linley Marthe à la contrebasse et Laurent-Emmanuel "Tilo" Bertholo à la batterie, deux nouveaux compagnons très imprégnés comme lui de la culture martiniquaise. voilà encore un exemple de trio piano-basse-batterie épatant. Né en 1984 à la Martinique, il abandonne des études d’ingénieur à 27 ans et se consacre entièrement au piano appris enfant grâce à son père José Privat pianiste et membre de Malavoi, un des groupes martiniquais les plus connus. Nommé aux Victoires du Jazz 2015 dans la catégorie Révélation Jazz, la consécration du talent de Grégory Privat est une belle récompense sur le label ACT.
Douze compositions personnelles de belle tenue démontrent ses dons de conteur. Du bonheur, il y en a à la pelle dans ce disque gai où les mains du pianiste courent dès le premier morceau justement appelé Le Bonheur. Sa vision cet été me revient en tête, avec ses yeux fermés et ses lèvres pincées par la concentration. L’arbre généalogique a des racines multiples et ne doutons point de sa fertilité. Évidemment inspiré par ses racines antillaises et par des musiques plus populaires comme le dance-hall, le zouk ou le rara haïtien, sa facilité à mettre en musique ses refrains est confondante. Presque obsessionnelle comme dans Riddim. Tandis que le titre éponyme se révèle particulièrement romantique et plein de reconnaissance sur ce qui a tissé son moi profond. Humez Le Parfum de ce disque plein d’élan, laissant une trace discrète mais élégante derrière lui, comme dans Seducing The Sun. Laissez vous emporter et griser par Size avant de souffler sur Filao qui laisse la contrebasse nous apaiser. Pour repartir de plus belle dans les changements de rythme étourdissants de Ladja ou Happy Invasion, avant de partir en apothéose avec Galactica qui donne un bel aperçu de l’entente des partenaires du trio et de la qualité de jeu du contrebassiste et du batteur. Le Bonheur a commencé l’album et ne l’a pas quitté une seconde. Grégory, vous avez bien fait de choisir la voie musicale, vous auriez été un fabuleux ingénieur !
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Bruno CANINO – Enrico PIERANUNZI : "Americas"
> CamJazz - CAMJ 7907-2 / Harmonia Mundi
Bruno Canino, Enrico Pieranunzi : pianos
01. Muchacho Jujeno / 02. Danzon Cubano / 03. Fuga Y Misterio / 04. Old Adam / 05. Las Ninas De Santa Fe / 06. Milonga Del Angel / 07. I Got Rhythm Variations / 08. La Muerte Del Angel // Enregistré aux Studios Bauer de Ludwigsburg du 8 au 10 décembre 2015.
Daniel ERDMANN’s Velvet Revolution : "A Short Moment Of Zero G"
> BMC - BMC CD 239 / UVM
Daniel Erdmann : saxophone ténor / Théo Ceccaldi : violon, alto / Jim Hart : vibraphone
01. A Pair of Lost Kites Hurrying Towards Heaven / 02. Infinity Kicks In / 03. Velvet Revolution / 04. Quand j´étais petit je rêvais d´être pauvre / 05. Les agnettes / 06. I See a Strange Light / 07. Swing für Europa / 08. Les frigos / 09. A short moment of zero g / 10. Try to Run / 11. Still a Rat // Enregistré à Budapest (Hongrie) du 15 au 18 mai 2016.
Marc PERRENOUD : "Hamra – solo piano"
> Unit records - UTR 4707 / www.unitrecords.com/Hamra
Marc Perrenoud : piano
01. All the Things You Are (Kern) / 02. Tyomnaya Noch (Dark Is the Night) (Bogoslovsky) / 03. Nica’s Dream (H.Silver) / 04. Clouds for Dima / 05. Vestry Lamento / 06. Conversation with Nino / 07. Quintes (Variations on 12345) / 08. Naima (Coltrane) / 09. Rythmh Games / 10. Le Roi et l’Oiseau (W.Kilar) // Enregistré au Studio de Meudon (Paris) du 21 au 23 décembre 2015.
Marc PERRENOUD Trio : "Nature Boy"
> Double Moon Records - DMCHR71167 / Socadisc
Marc Perrenoud : piano, compositions sauf 5 / Marco Mueller : contrebasse / Cyril Regamey : batterie
01. Aegean / 02. Arolla / 03. Color Nine / 04. Overseas / 05. Nature Boy (Ahbez) / 06. Pure Blend / 07. Industry / 08. Big Zeppelin // Enregistré au Studio de Meudon (Paris) du 6 au 9 avril 2016.
Enrico PIERANUNZI : "Ménage à trois"
> BBM – Bonsaï Music - BONS160901 / Harmonia Mundi
Enrico Pieranunzi : piano / Diego Imbert : contrebasse / André Ceccarelli : batterie
01. Mr. Gollywogg (Pieranunzi) / 02. 1ère Gymnopédie (Satie) / 03. Sicilyan dream (Pieranunzi) / 04. Medley : La plus que la lente - La moins que lente (Debussy puis Pieranunzi) / 05. Hommage à Édith Piaf (comp. Poulenc) / 06. Le Crépuscule (Milhaud) / 07. Mein lieber Schumann I (d’après Schumann) / 08. Romance - Hommage a Milhaud (Milhaud puis Pieranunzi) / 09. Mein lieber Schumann II (d’après Schumann) / 10. Hommage à Fauré (Pieranunzi) / 11. Liebestraum pour tous (Pieranunzi) // Enregistré récemment en France (?)
Grégory PRIVAT : "Family Tree"
> ACT - 9834-2 / Harmonia Mundi
Grégory Privat : piano / Linley Marthe : contrebasse / Tilo Bertholo : batterie
01. Le Bonheur / 02. Riddim / 03. Family Tree / 04. Zig Zagriyen / 05. Le Parfum / 06. Sizé / 07. Filao / 08. Ladja / 09. Seducing The Sun / 10. Happy Invasion / 11. La Maga / 12. Galactica // Enregistré au Recall Studio (30), France du 24 au 26 janvier 2016.