Cent quarante cinquième étape

Hans Lüdemann

Le Trio Ivoire, composé de Hans Lüdemann (piano, électronique), d’Aly Keita (balafon, sanza), et de Christian Thomé (batterie, percussions) était à l’affiche du Périscope en partenariat avec le Goethe Institut. Hans Lüdemann, s’il est méconnu dans nos contrées n’en est pas moins, depuis une bonne trentaine d’années, un musicien apprécié de ses pairs, tels à ses débuts Eberhard Weber et Jan Garbarek puis plus tard Paul Bley, Marc Ducret, Heinz Sauer, Mark Feldman et d’autres encore. Élevé au classique, il a viré au jazz assez tôt et ne l’a plus lâché, arpentant différents univers avec un talent reconnu. N’ayant que très moyennement goûté son hommage au Köln concert de qui vous savez, nous ne fûmes pas assez sectaires pour ignorer son trio « Ivoire » dans lequel s’exprime, aux côtés du batteur allemand Christian Thomé, Aly Keita, pape du balafon (un double balafon de sa fabrication lui permettant d’accéder au chromatisme) vu avec une ribambelle de partenaires conséquents, Pharoah Sanders, Paolo Fresu, Rhoda Scott, Omar Sosa, feu Joe Zawinul, pour ne citer que ceux-ci. Bref, le trio qui fêtera l’année prochaine ses vingt années d’existence avait sur le papier belle allure. Il ne nous restait qu’à l’expérimenter au Périscope de derrière la gare de Perrache en ce samedi pluvieux du 14 avril 2018. En toute bonne foi, la déconvenue ne fut pas de mise. Loin des clichés, de la carte postale musicale, les deux allemands et l’ivoirien proposèrent le fruit d’un travail artistique au long cours qui, s’il emprunta patemment à l’Afrique musicale certaines des formes, se mut avec éclectisme entre les courants musicaux du jazz contemporain avec un bel appétit. Le batteur, d’une précision presque inusuelle, le pianiste et le balafoniste, discutèrent à l’envi dans un jeu mélodique battu en brèche par des caprices rythmiques opportuns. Nourrie de gaîté démonstrative ou de placide introspection, chaque composition badina avec les contrastes, déjoua les harmonies, joua la dissonance et, in fine, traça un continuum musical pétulant, assurément exempt d’insignifiance, qui séduisit avec brio l’auditoire et conclut bellement la soirée d’un jour météorologiquement morose. Néanmoins, si l’on excepte le proverbe « Si Saint-Lambert est pluvieux, suivent neuf jours dangereux », lequel n’est pas décisif vu qu’en avril bla bla bla bla bla, l’on peut noter que Gene Ammons débuta sa brève vie terrestre un 14 avril 1925 avant d’être bouffé par le crabe 49 ans plus tard sans passer par la case départ. Déjà qu’il en avait passé neuf en prison par la faute de stupéfiants divers et variés retrouvés par mégarde en sa possession ou dans ses veines, il n’en restait finalement pas tant que ça pour faire les quelques dizaines d’enregistrements qu’il a pondus. Parmi ceux-ci, écoutez donc le vivifiant mais pas mythique « The chase » où il se confronte au grand Dexter Gordon (1 mètre 96) avec lequel il avait en commun, outre le jazz et le saxophone ténor, la dope et la taule et, qui sait, une ou deux conquêtes. Allez, tirez une carte chance. A ce jeu-là, Dexter fut plus veinard puisque qu’il connut la rue de la Paix en émigrant au Danemark où il jazza des jours tranquilles qui renflouèrent la banque européenne du jazz.


Dans nos oreilles

Philippe Mouratoglou - Univers solitude


Devant nos yeux

Camille Bordas - Les treize desserts


Les disques du Trio Ivoire dans les piles de disques de CultureJazz :