| 00- BILL FRISELL . Harmony - OUI !
| 01- WOODY SHAW . At Onkel Pö’s, Hamburg 1979
| 02- HASSE POULSEN . Not married anymore
| 03- RANDY BRECKER . Brecker plays Rovatti- sacred bond
| 04- DANIEL SCHLAPPI - MARC COPLAND . Alice’s wonderland
| 05- DAVID BRESSAT . True Colors
| 06- LORENZO FELICIATI/MICHELE RABBIA . Antikythera
| 07- GERALDINE LAURENT . Cooking
| 08- QUARTET CRESCENT
| 09- AVRAM FEFER QUARTET . Testament - OUI !
| 10- DAVID S. WARE NEW QUARTET . Théâtre Garonne 2008 - OUI !
| 11- MikroPULS - OUI !
| 12- CHRISTOPHE PANZANI . Les mauvais tempéraments
| 13- FRED HERSCH TRIO . 10 years, 6 discs
| 14- NUZUT TRIO . The bowhopper
| 15- MARK SHERMAN . My other voice
| 16- YAKIR ARBIB . My name is Yakir


  BILL FRISELL . Harmony

Blue Note Records

Bill Frisell : guitare
Petra Haden : voix
Hank Roberts : violoncelle & voix
Luke Bergman : guitare & voix

Dans ce disque de compositeur plus que de guitariste (stricto sensu), Bill Frisell aborde une fois encore ses racines américaines, avec ce genre que l’on nomme aujourd’hui « americana ». Avec la fille de Charlie, Petra Haden, l’immense Hank Roberts et Loke Bergman, à la basse comme à la guitare, il offre une vision musicale au sein de laquelle, la voix occupe une place prépondérante. Et cette vision reste comme toujours profondément empreinte de la personnalité du guitariste, même si certains s’accorderont à la croire traditionnellement folk. Disque d’harmonies, disque harmonieux, disque bien nommé, « Harmony » possède les atours d’un chant global explorant une sensibilité sans fond. L’atmosphère générale, comme souvent chez Frisell, fait la part belle à un existentialisme musical quiet dont les ombres portées recèlent un ou des secrets timidement dévoilés. Bien qu’il soit plus en retrait qu’à l’habitude, il n’en demeure pas moins que sa sonorité particulière définit le climat fondamental de l’album et que ce dernier porte les germes infectieux d’une mélancolie qui n’est pas tristesse. Les puristes du jazz perdront leur latin à l’écoute de disque, mais ils devraient savoir que Bill Frisell ignore ce concept et qu’il compose et joue, depuis longtemps maintenant, une musique non genrée qui le place parmi les plus grands compositeurs américains de ces cinquante dernières années. Tous genres confondus bien sûr. Indispensable, et pas seulement pour l’intemporel duo entre Petra Haden et Bill Frisell sur « Lush life. »

Yves Dorison


https://www.billfrisell.com


  WOODY SHAW QUINTET . Live at Onkel Pö’s Carnegie Hall - Hamburg 1979

Jazzline – NDR info

Woody Shaw : trompette
Carter Jefferson : saxophones soprano et tenor
Onaje Allan Gumbs : piano
Stafford James : contrebasse
Victor Lewis : batterie

Chez les hard boppers du passé, il y avait un trompettiste, un peu oublié de nos jours, qui avait un sens du rythme vraiment incroyable. Il s’appelait Woody Shaw et si sa santé défaillante ne l’avait pas enterré si jeune (1944-1989), il aurait fait une toute autre carrière. Né avec l’oreille absolue et une capacité étonnante à ne jamais perdre le fil des ses improvisations, aussi complexes soient-elles, il est passé parmi nous avec la fougue d’un musicien qui avait peut-être peur de son absence de futur. Dans ce live plus que vivant où les morceaux durent entre 12 et 24 minutes, c’est tout l’art, bourré de citations, des puncheurs jazzy qui s’exprime. La patate est chaude, voire bouillante, et chacun des protagonistes du quintet se la refile avec un brio qui marquent une époque où la joie de jouer s’accompagnait de sueur, sans arrières pensées mais avec un talent redoutable. Sur une rythmique qui ne lâchait jamais rien, les musiciens donnaient le meilleur de leurs soli au service d’un collectif attentif et toujours prêt à relever le gant. Au final, cela offrait aux spectateurs des sets à rallonge plein d’une énergie sans filtre mais toujours extrêmement communicative. En ces temps anciens, le quatre quatre était de rigueur, bien sûr, et le public l’attendait comme une évidence au même titre que le thème ou les ponts. Et c’était bien comme ça. On ne regrette pas pour autant cette musique mais plus l’implication totale des musiciens dans leur art. A cette aune, « All the things you are » est devenu « All the things you were ». On n’en fera pas une maladie parce qu’eux, ils en faisaient des mélodies qui nous habitent encore.

Yves Dorison


https://en.wikipedia.org/wiki/Woody_Shaw


  HASSE POULSEN . Not married Anymore

Das Kapital Records

Hasse Poulsen : voix et guitare
Henrik S. Simonsen : contrebasse
Tim Lutte : batterie

Dans une veine bluesy et folk-rock, le guitariste danois cosmopolite prend la parole et chante avec les mots de l’amertume la fin d’une aventure. Rupture, divorce, séparation, désunion, toute la clique des synonymes n’y peut rien. Le truc est là dans la tête de l’artiste et il faut bien que cela sorte. Hasse Poulsen a choisi de livrer des états d’âme sans détour, avec un trio minimaliste, dans le plus pur style des compositeurs américains, ceux qu’on appelle les « songwriters ». C’est rugueux, c’est brut de décoffrage et c’est nourri de sincérité. Électrique ou acoustique, la musique déroule une histoire en une quinzaine de petites histoires qui s’assemblent comme les polaroïds silencieux d’un album défraîchi par les outrages du temps et les incompréhensions. La simplicité apparente que dégage cette musique est le fruit d’un long labeur de maturation et Hasse Poulsen ne livre dans ce nouveau disque que l’essentiel, avec ses mots. L’on entre de la sorte par d’étroites fissures dans la géographie de ses grands espaces intérieurs. Et si vous vous demandez en quoi ce disque peut être estampillé « jazz », dites-vous d’abord qu’il est musique. Personne n’a reproché à Bach ses improvisations. Hasse Poulsen a donc le droit de chanter ses compositions. Et puisque ce Cd évoque le divorce, il parle d’amour. Eh quoi, c’est pas jazz l’amour ?

Yves Dorison


http://poulsen.fr


  BRECKER PLAYS ROVATTI . Sacred bond

Jazzline

Randy Brecker : trompette, bugle
Ada Rovatti : saxophone tenor & soprano, voix
Stella Brecker : voix
Rodney Holmes : batterie
David Kikosi : piano, fender rhodes
Alexander Claffy : guitare basse, contrebasse
Adam Rogers : guitare
Jim Heard : claviers, orgue hammond
Cafe Da Silva : percussions

Randy Brecker joue les compositions d’Ada Rovatti. Elle compose plutôt pas mal d’ailleurs. Pour accompagner Madame et Monsieur (et leur fille Stella), une bande de tueurs hyper affûtés. Tous, leaders en tête, sont très bons et plus. Et cela nous rappelle que le jazz rock a eu son heure de gloire, qu’elle est passée, et donc qu’elle va revenir tôt ou tard pour nourrir le filon de la nostalgie qui est un marché à part entière. Nous, on ne reprochera pas à des musiciens qui ont été parties prenantes de son éclosion de la jouer, certes non. Mais comme l’on n’accrochait pas trop à l’origine, on n’accroche pas plus aujourd’hui. Même si c’est vraiment très très bien fait et parfaitement musical. Au bout de quelques plages, l’on est pris par une forme de tournis répétitif qui nous éloigne de la transe éventuellement envisageable. Mais tout est de notre faute et on laisse volontiers aux aficionados du genre l’écoute de ce disque de qualité parfaitement arrangé et joué par des musiciens talentueux.

Yves Dorison


http://www.adarovatti.com
http://randybrecker.com


DANIEL SCHLAPPI, MARC COPLAND - Alice’s Wonderland

Daniel Schläppi : contrebasse
Marc Copland  : piano

Catwalk

Troisième opus du duo Daniel Schläppi, Marc Copland (voir ici la chronique des deux premiers volumes ici , et ici).
La magie est toujours là, remarquons en premier lieu la qualité de l’enregistrement dont la prise de son et le mixage rendent justice à ce qui nous semble être l’identité naturel des deux musiciens, merci messieurs les ingénieurs.
Et si l’on retrouve les mêmes ingrédients des précédents volumes dus à Bill Evans et Scott Lafaro quant à l’inspiration et au répertoire, soulignons ce qui en fait aussi la différence en prenant systématiquement le contre pied dans l’interprétation des mêmes pièces mais aussi en amenant leurs propres compositions dont nous retiendrons l’intrigant Day and night de Marc Copland ou le beau Alice’s Wonderland de Daniel Schläppi. La musique oscille entre maitrise du bebop au hard bop et harmonies contemporaines.
Rappelons encore une fois que Marc Copland a su personnalisé son jeu en trouvant un son, une articulation bien à lui avec l’utilisation de la pédale forté du piano indispensable aux interprètes classiques et quelque peu délaissée par les pianistes de jazz, Daniel lui a su s’écarter de son modèle en s’éloignant le plus possible de l’exubérance (ce n’est pas une critique loin de là) instrumentale et stylistique de Scott LaFaro. Le calme ici prédomine, la maturation, le sens prend le pas sur la futilité démonstrative et l’imitation pure et simple vouée à l’échec. Peut-être aurions nous désiré un ou deux tempi plus rapides mais ne boudons pas le plaisir que nous procure la simple écoute de ce disque. Ainsi à l’issu de ce triptyque le décor, la mise en scène sont là bien plantés, aussi reste pour nous l’indispensable concert pour en savourer les ultimes détails qui en feront à coup sur le piment et le sel, avis aux programmateurs des clubs de France et de Navarre.

1. Everything I Love (Cole Porter) / 2. Day and Night (Marc Copland) / 3. The Other Way Round (Daniel Schläppi) / 4. Alice’s Wonderland (Daniel Schläppi)
5. Some Day My Prince Will Come (Frank Churchill ) / 6. Juno (Daniel Schläppi) / 7. Jade Visions (Scott LaFaro) / 8. All of Me (Seymour Simons) / 9. Blue in Green (Miles Davis, Bill Evans)

Pierre Gros


www.danielschlaeppi.ch
www.marccopland.com


  DAVID BRESSAT . True colors

Adme Obstinato

David Bressat : piano
Eric Prost : saxophone tenor
Aurélien Joly : trompette
Florent Nisse : contrebasse
Charles Clayette : batterie

La belle équipe. Est-ce ainsi que l’on qualifie ce quintet ? Oui, sans problème. Tous se connaissent bien, très bien. Soudés autour d’une esthétique jazzy sans âge, donc toujours pertinente, David Bressat et ses coreligionnaires sont la preuve qu’il est toujours possible d’être créatif dans un univers jazz que certains ne veulent plus connaître. Tout au long de ce disque où les musiciens préfèrent la finesse aux effets de manches, l’écoute est prégnante et la musique qui en découle possède des atours ouvragés qui évitent la surcharge. De fait, sous l’impulsion du pianiste, l’ensemble est limpide et parfaitement équilibré. Les mélodies s’exposent avec un réel souci d’économie afin de ne pas perdre de vue l’essentiel, à savoir la lisibilité. D’un thème à l’autre, le quintet varie sa palette, étire et contracte les tempi, pousse et repousse le flot musical, laisse passer l’air dans la masse et construit des histoires sincères toutes éclairées par des nuances subtiles. De par l’élégance des formes et la parfaite harmonie entre les musiciens, il nous est arrivé de penser à l’illustre Jazztet de Benny Golson et Art Farmer. Noter ce type de filiation n’est pas un reproche de notre part, bien au contraire, car cet enregistrement public aux couleurs vraies sait faire passer un message musical qui, comme nous l’écrivions plus haut s’affranchit de la temporalité. Ce n’est pas donné à tout le monde.

Yves Dorison


http://www.obstinato.fr/index.php


  LORENZO FELICIATI / MICHELE RABBIA . Antikythera

RareNoiseRecords

Lorenzo Feliciati : basse, claviers, sample, guitare
Michele Rabbia : batterie et électronique
Cuong Vu : trompette (4,5)
Andy Sheppard : saxophone (2,8)
Rita Marcotulli : piano (2,5,8)
Alessandro Gwis : piano, reaktor generated électronique (1,6)
Roy Powell : orgue Hammond, moog, claviers (7)

Si en musique vous aimez le paysage mais qu’un seul ne vous suffit pas, le disque de Lorenzo Feliciati et Michele Rabbia vous satisfera pleinement. Fruit d’improvisations réalisées en studio puis retravaillées en postproduction, tout l’album est une ode au voyage des sens. D’une façon évidente ou presque, l’on peut parler là de psychédélisme contemporain. Les ambiances naissent multiples, les couches et les textures se superposent, tout est fait pour que l’esprit de l’auditeur soit accaparé par les résonances et le bruitisme intime. L’on demeure cependant toujours éloigné du fouillis sonore car, en toute circonstance, le jeu aérien de Michele Rabbia éclaire et ventile la masse des sons produits. Ajoutez à cela les interventions ciselées des artistes invités (ils ne sont pas des moindres) pour rehausser les couleurs musicales de base en élargissant le spectre et vous obtenez un disque qui ne manque aucunement de caractère. Disque concept organisé en référence à un ancien mécanisme grec usité pour prédire la position des astres et les éclipses à des fins calendaires et astrologiques qui donne se nom au CD, antikythera, cet enregistrement fourmillant d’idées plaira à celles et ceux qui conçoivent les frontières (physiques et de la perception) comme un anachronisme obsolète. Epatant !

Yves Dorison


http://www.lorenzofeliciati.com/site/
http://www.michelerabbia.com/index.php/fr/


  GERALDINE LAURENT . Cooking

Gazebo

Géraldine Laurent : saxophone alto
Paul Lay : piano
Yoni Zelnik : contrebasse
Donald Kontomanou : batterie

L’on sait que Géraldine Laurent ne fait, musicalement, que ce qu’elle souhaite faire et ce, depuis toujours. Libre est donc l’adjectif qui convient à sa musique comme à elle. A la tête d’un quartet ayant quelques années d’existence, l’altiste à l’imaginaire fécond revient avec cette formation acoustique pour un deuxième CD intitulé Cooking (ce qui au passage nous fait souvenir de Miles). Toujours enthousiaste et impétueuse dans son jeu, elle cuisine un jazz classique d’avant-garde avec ce son et ce phrasé qui n’appartiennent qu’à elle. Colorée et chaude, sa musique aime aller à la rencontre de l’inconnu comme on élabore une recette en ne la suivant pas à la lettre. La prise de risque inhérente à l’improvisation éclate à tout moment et génère un flux musical qui privilégie la surprise. C’est savoureux et relevé et, comme avec tous les plats savamment épicés, il faut goûter le plaisir interactif des musiciens et la musique qu’ils créent, une musique dense mais jamais bavarde, toutes papilles auditives dehors. La cuisine en quartet de Géraldine Laurent est décidément une subtile affaire de dosage et un art dans lequel elle excelle.

Yves Dorison


https://www.geraldinelaurent.com


  QUARTET CRESCENT

Inouïe distribution

Eric Prost  : saxophone ténor
Romain Nassini : piano
Greg Théveniau : basse
Stéphane Foucher : batterie

Le Quartet Crescent a de la bouteille. Composé par des musiciens appartenant au collectif résident du club mâconnais, Le Crescent, il offre à l’auditeur, un jazz post hard bop ouvert à tout vent. Avec des compositions originales toujours pétries de mélodies, ce disque montre bien ce qu’un combo régulier est à même de réaliser avec aisance : une musique solide, pleine de sensibilité, expressive en diable avec une rythmique dense et énergique qui ne craint pas le contraste. Au détour d’une phrase, chaque musicien est à capable de faire la différence dans l’instant en renouvelant le discours constant qui circule entre les quatre coins de ce quadrilatère musical jamais terre à terre. Complices ils le sont et cela s’entend tout au long de cet enregistrement aux couleurs variées qui sonne de manière résolument moderne avec un clin d’œil révérencieux au maître Coltrane (d’ailleurs en jazz, les musiciens sont tous avant ou après J.C.). Qu’il s’exprime sur un mode intime ou avec une fougue lyrique dans laquelle il excelle, ce quartet possède une esthétique musicale personnelle qui ne manque d’intérêt et qu’il est plus que plaisant d’écouter.

Yves Dorison


  AVRAM FEFER QUARTET . Testament

Cleanfeed Records

Avram Fefer : saxophones alto et ténor
Marc Ribot : guitare
Eric Revis : contrebasse
Chad Taylor : batterie

Ce quartet de jazz typique de la scène newyorkaise de ce dernier quart de siècle était à l’origine un trio, sans Marc Ribot, qui publia deux disques (2009 et 2011). Le saxophoniste leader l’a renouvelé en ajoutant l’inclassable guitariste. La musique y est bouillonnante et se permet tous les excès. La chimie quasi télépathique qui unit les quatre larrons produit une musique enflammée qui s’égaille allègrement dans des échanges tumultueux où chaque musicien affirme un caractère bien trempé. La rugosité de Ribot épaissit la sauce d’un trio épris de liberté qui pousse jusqu’au bruitisme son désir d’échappée belle. Dynamique sous tous les angles, leur musique explore les confins du genre avec notamment un Eric Revis incroyablement solide à la contrebasse. Les autres ne sont pas en reste et Avram Fefer mène l’ensemble avec une ardeur enthousiasmante. L’ensemble des compositions du saxophoniste est empli d’une imagination affranchie de toute contrainte où se côtoient les influences multiples qui génèrent l’esthétique originale de sa musique. Dans cet album, la liberté n’est pas un vain mot et elle claque au visage du musicalement correct avec un lyrisme impétueux et une énergie réjouissante, voire carrément jouissive. Puissant, généreux et engagé. Un must.

Yves Dorison


http://www.avramfefer.com


  DAVID S WARE NEW QUARTET . Théâtre Garonne 2008

Aum Fidelity Records

David S. Ware : saxophone tenor , compositions
Joe Morris : guitare
William Parker : contrebasse
Warren Smith : Batterie

Nous avons le souvenir d’un concert de David S. Ware au festival A Vaulx Jazz, il y a une dizaine d’année, qui nous avait laissé sur le cul (pour dire les choses comme elles furent).L’enregistrement en concert au Théâtre Garonne, à Toulouse, qui nous proposé là date de cette époque. Le guitariste Joe Morris a remplacé depuis peu le pianiste Matthew Shipp et cela modifie considérablement la sonorité globale du quartet. Le conceptualisme musical développé par David S. Ware tout au long des précédentes années, s’il demeure, entre dans une autre dimension qui lui sied parfaitement. Les improvisations du saxophoniste sont bien évidemment toujours aussi férocement belles et baignées dans une forme de mysticisme païen en quête de transes ultimes. Portée par un son et une vision sans équivalent dans son genre, la musique déployée lors de ce concert est celle d’un artiste qui lutte contre son corps déjà en proie à la maladie. Elle est illuminée par la performance guitaristique de Joe Morris qui sait dégager des arabesques spatiales magnifiant le travail du leader qui ne cesse, lui, de pousser dans les cordes les limites (inconnues) de sa créativité. William Parker et Warren Smith, compagnons de route depuis longtemps, permettent (et se permettent) tout au ténor en état d’urgence musical et humain. Ce disque est un témoignage indispensable qui met en lumière le formidable musicien qu’était David S. Ware (1949-2012).

Yves Dorison


http://www.davidsware.com/home


  MikroPULS

Intuition Records

Gebhard Ulmann : saxophone ténor
Hans Lüdemann : piano, piano virtuel
Oliver Potratz : contrebasse
Eric Schaefer : batterie

Un album avec une musique étrange, où la microtonalité tient lieu d’idiome, qui nous rappelle les expérimentations des années soixante-dix quand la liberté s’invita dans les combos de jazz afin de dépasser le cadre ancien, non pour le nier mais bien pour l’élargir. L’on plonge donc des deux oreilles dans des territoires très peu fréquentés de nos jours et l’on y prend réellement plaisir. Ulmann et Lüdemann, mèenent les débats, secondés par une rythmique qui est plus qu’une rythmique, liberté oblige. L’on pourrait penser de prime abord que l’on va se perdre dans leur monde mais, de facto, la musique que génère le quartet demeure extrêmement lisible et ce n’est pas le moindre de ses mérites. Elle est serpentine, organique et particulièrement aérée. La sonorité acérée du saxophoniste fait merveille, sculpte les phrases et transcrit idéalement le flot d’idées qui anime le musicien. Au carrefour de l’ancien et du moderne, du tribal et de l’atonal, ce disque d’explorateurs avertis possède un charme fou qui devrait convaincre les plus réticents. L’excellence technique, suffisamment maîtrisée pour être oubliée, l’intelligence des formes et l’originalité du propos constituent un tout musical superbement foisonnant qui mérite une qualité d’écoute équivalente à celle de la musique jouée dans ce formidable album.

Yves Dorison


https://www.gebhard-ullmann.com


  CHRISTOPHE PANZANI . Les mauvais tempéraments

Jazz&people

Christophe Panzani : saxophone ténor, compositions
Yonathan Avishai, BIGYUKI, Edouard Ferlet, Eric Legnini, Leonardo Montana, Tony Paeleman, Guillaume Poncelet et Yael Naim : piano.

Christophe Panzani aime à fouiller là où personne ne s’aventure. Le concept de cet album est le suivant, tel qu’on ne l’écrit : « En quête de moyens d’expression nouveaux, le saxophoniste a choisi une voie dans laquelle les jazzmen se sont rarement — sinon jamais — aventurés jusqu’à présent : elle des tempéraments anciens. Il n’est pas question ici de changer le diapason des instruments mais d’accorder le piano comme le font les clavecinistes et les spécialistes (notamment) de musique baroque, en respectant les rapports naturels entre les sons, ce qui permet d’éviter les battements entre harmoniques qui donnent parfois à l’oreille une sensation de fausseté ou de dureté. » Nous qui ne sommes qu’auditeurs ressentons une intimidation certaine devant les savants. Alors nous nous sommes contentés d’écouter la musique du musicien parti à la rencontre de différents pianistes confronter son ténor et ses compositions. Et nous avons aimé ces figures de l’intime qui peuplent son chemin aux atmosphères changeantes. Chaque personnalité pianistique apportant sa vision, les échanges avec le saxophoniste ont engendré une approche toujours renouvelée, approche qui a suscité bien des surprises et quelques interrogations. Mystérieux et multiforme, telle une réunion d’éclats musicaux organiques, l’univers exprimé dans cet album possède une homogénéité toumentée au sein de laquelle les ombres sont sources de lumière.

Yves Dorison


http://www.christophepanzani.com/


  THE FRED HERSCH TRIO . 10 years, 6 discs

Palmetto Records

Fred Hersch : piano
John Hébert : contrebasse
Eric McPherson batterie

Les inconditionnels du pianiste seront comblés avec ce coffret, agrémenté de textes écrits par Fred Hersch lui-même et l’historien du jazz Ted Gioia, qui retrace les dix années d’activité musicale intense d’un trio somme toute hors norme qui a fait de l’alchimie qui unit les trois musiciens une référence musicale immédiatement repérable. Avec une vision créative qui peut paraître illimitée, Fred Hersch, entièrement dans sa quête, est toute innovation et lyrisme. La mise en danger perpétuelle qui parcoure la musique de ce trio sert une élégance des formes en tout point exceptionnelle. L’inventivité, l’adaptabilité de chaque musicien, servent une inspiration jamais démentie. Que ce soit dans les compositions du pianiste ou bien dans les standards abordés, tout est toujours ouvert, empli de sensations rythmiques et harmoniques finement ouvragées, qui laissent le dialogue musical respirer et pleinement vivre. Ce trio osmotique s’exprime avec une classe qui le place dans la cour des très grands au même niveau que les Jarrett/Peacock/DeJohnette et autres Evans/La Faro/Motian.

Yves Dorison


https://fredhersch.com


  NUZUT TRIO . The bowhopper

Da Vinci Jazz

Flavio Perrella : contrebasse / compositions
Simon Martineau : guitare électrique
Thomas Delor : batterie

Un jeune trio guitare/contrebasse/batterie avec un leader et compositeur contrebassiste, c’est la formule qui assoit l’expression musicale de ce trio. L’on sent dans les compositions originales de Flavio Perrella une recherche fine et un désir d’aventure patent. Les climats créés le sont à des fins d’exploration et chacun des musiciens ne manquent pas d’exprimer sa différence et son talent d’écoute. La musique est pleine de sensations, de contrastes et d’éclats qui contraignent l’auditeur à porter une concentration auditive soutenue. Fruit de quelques années de travail, ce disque de Flavio Perrella retient l’attention par la richesse des sonorités déployées autant que par le sens de la nuance qui l’habite de bout en bout. Le travail à l’archet du contrebassiste est épatant et suffisamment rare pour être souligné. Sans frontière entre les genres, le trio se permet des audaces bienvenues (notamment un goût marqué pour le discontinu dans la discontinuité) sans jamais se départir d’une homogénéité évidente. A découvrir assurément.

Yves Dorison


https://www.flavioperrella.com


  MARK SHERMAN . My other voice

Miles High Records

Mark Sherman : piano
Vincent Herring : saxophone alto
Nana Sakamoto : trombone
Ray Drummond : contrebasse
Carl Allen : batterie
Dan Chmielinski : contrebasse (1,4,7)

Plus connu comme vibraphoniste et percussionniste, Mark Sherman revient dans cet album au piano, son instrument premier. Lui et sa bande de joyeux drilles, limite furieux, réactualise un hard bop plein de fraîcheur et de swing. Entre standards et compositions personnelles, le quintet fait ce qu’on attend d’une formation mainstream : du jazz. De l’interplay bien sûr, avec une rythmique solide et de l’harmonie en veux-tu en voilà, des soli pertinents et une joie de jouer communicative, voilà les ingrédients qui font que la recette à de la saveur. Un Milestone à la John Lewis par-ci, un Juicy Lucy à la horace par-là, un Cole Porter et un Cedar Walton pour faire bonne mesure, ne manquent pas d’ajouter la touche qui pose pour l’auditeur l’ensemble en terrain connu. Rien de révolutionnaire donc, rien de désagréable non plus, grâce au talent des musiciens présents à l’enregistrement. On prend quelque plaisir à l’écoute de cet album où Mark Sherman se révèle un pianiste convaincant.

Yves Dorison


http://www.markshermanmusic.com/


  YAKIR ARBIB. My name is Yakir

JMS

Yakir Arbib : piano

Que le pianiste improvisateur Yakir Arbib soit né avec une déficience visuelle n’en fait pas une exception, de grands musiciens avant lui étaient atteints du même handicap Art Tatum, Stevie Wonder ou les organistes classiques improvisateurs Jean Langlais ou Louis Thiry. Qu’il ait la faculté certes exceptionnelle de voir les tons musicaux en tant que couleurs, il le partage avec Olivier Messian, Woody Shaw, Pharrell Williams, Duke Ellington et d’autres encore, certains ont mêmes été atteints de surdité !!! Que ces handicaps ou facultés lui aient permis de développer une oreille, c’est une évidence que personne ne peut nier. Par contre ce qui retient notre attention outre une dextérité et une précision sans faille sera plutôt une étonnante propension à se faire entrechoquer différents univers musicaux contemporains sans que cela semble le perturber le moins du monde. Les idées foisonnent dans un flot ininterrompu, se bousculent les unes les autres, les traits d’humour, les citations thématiques dans lesquelles nous entendons l’ombre d’un Martial Solal. De tout ceci nous retiendrons les interprétations de Scrappel From The Apple, Giant Steps ou Confirmation pris à rebours de leurs habituels usages, les thèmes n’étant ici que prétextes à des variations, des superpositions, des tournures inattendues, c’est la voie que nous préférons au trop orientalisant Caravan ou au trop sage I’m Confessin’. De belles promesses donc, surtout que nous avions découvert Yakir lors d’une jam session au Popup du Label, c’est dans la spontanéité que le pianiste Italo-israélien installé depuis peu à Paris donne toute sa pleine mesure. A suivre donc.

Pierre Gros


http://yakirarbib.com/