Échos de notre parcours à travers la programmation pléthorique du festival coutançais. Une édition riche en émotions.
Au sommaire :
Voilà bien trente ans cette année que Coutances vit avec son festival. Si la 30ème édition avait été joyeusement fêtée en 2011, cette troisième décennie aura été bien arrosée. Édition pluvieuse, édition heureuse ? On peut le dire car le programme aura suscité des émotions et confrontations de points de vues souvent contrastés à l’issue de concerts qui n’ont pas toujours fait l’unanimité malgré le rituel récurent des standings ovations. C’est tant mieux car cela offre de sympathiques joutes verbales aussi amicales et bon enfant que la joyeuse bataille d’orchestres France-Canada d’un jeudi vraiment "ascensionnel", concert ludique qui fut une des belles idées de ce 31ème "Jazz sous les Pommiers".
Si certains peuvent regretter que les formes les plus classiques et normées du jazz soient minoritaires dans un programme pourtant pléthorique, on pourra y voir le signe d’une époque où les musiciens puisent à la source du jazz pour distiller une musique qui se nourrit aussi de multiples influences.
Et même si le festival convoque aussi et toujours dans son programme les musiques dites "cousines", elles sont souvent porteuses d’une créativité et d’une originalité plus ou moins marquée qui collent plutôt bien à l’esprit du jazz. (Cela dit sans certitude absolue : nous n’avons pas fait ces choix-là !)
Le programme de Jazz sous les pommiers est construit comme un maillage de concerts, de spectacles, de rencontres d’une impressionnante densité. Chacun peut ainsi se construire sa propre sélection en fonction de sa disponibilité, de ses goûts... et du budget dont il dispose. Le connaisseur peut en retirer une certaine frustration ("je suis là et pas ailleurs où j’aimerais aussi être..."), le curieux tentera, lui, de faire les bons choix et l’un comme l’autre auront sans doute des regrets mais aussi de beaux souvenirs.
Nous avons fait nos choix et les échos que vous lirez ici ne relatent qu’une partie du contenu de ce programme 2012. Nous allons conclure notre parcours à travers le festival en nous arrêtant plus particulièrement sur quelques moments forts, de notre point de vue, avant de conclure par un petit bilan à visée écologique : une préoccupation essentielle pour durer à travers les prochaines décennies dans la tourmente économique et environnementale.
.::Thierry Giard: :.
Si vous avez d’autres avis, si vous avez assisté à d’autres concerts marquants (il y en a eu beaucoup), n’hésitez pas à ajouter vos commentaires au pied de cet article !
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Chroniques des concerts en textes et images dans le diaporama ci-dessous !
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L’observateur aura sans doute remarqué que la contrebasse, un des instruments emblématiques du jazz se faisait plus rare cette année. La basse électrique, longtemps considérée comme un instrument mineur référé aux musiques plus tonitruantes était très présente dans les formations que nous avons eu plaisir à écouter.
Nous n’avons pu nous empêcher de repenser aux propos d’Alain Soler, le directeur de l’AMI en Haute-Provence, grand défenseur de cet instrument (lire ici) : "La basse électrique n’est pas un succédané de la contrebasse ! Il y a une vraie culture de cet instrument qui n’est pas dérivée de la contrebasse, loin s’en faut.". Il précisait son propos : "La réponse de l’instrument est telle que tu n’as pas le droit à un chemin qui ne soit pas inventif alors qu’avec la contrebasse, le son est tout de suite super. Un "walking bass" de qualité mélodique médiocre sonne toujours mieux joué à la contrebasse que joué avec une basse électrique, pour une histoire de réponse de son et de timbre. Cela demande aux bassistes électriques davantage de recherche...".
Donc, cette édition du festival a été marquée par la présence de deux génies de cet instrument qui illustrent chacun des courants très distincts : Marcus Miller et sa technique musclée venue de la black music électrique contemporaine et Steve Swallow (avec Christophe Marguet) qui aborde l’instrument en conciliant la rondeur de graves subtils et un jeu dans l’aigu qui évoque la guitare.
L’écoute de la plupart des bassistes présents à Coutances a permis de mesurer combien les propos d’Alain Soler sont pertinents. On constate que la plupart d’entre eux a abandonné des clichés clinquants et démonstratifs du genre pour développer une technique ou des techniques souvent personnelles. On se souviendra ainsi de Brad Jones qui joua à trois jours d’intervalle avec Don Byron et Dave Douglas dans des esthétiques différentes mais avec la même constance ou Derrick Hodge, attentif et efficace avec Robert Glasper. On accordera une mention particulière à Danilo Gallo, formidable bassiste du quartet de Francesco Bearzatti qui s’accorde totalement avec la flamboyance de ses coéquipiers !
2012, fut aussi l’année des trompettistes à Coutances. On connaissait déjà ce formidable musicien, instrumentiste, leader de formations diverses et toujours passionnantes qu’est Dave Douglas mais pour beaucoup, Giovanni Falzone fut la grande révélation. L’italien n’avait jamais joué à Coutances alors que son magnifique duo avec le pianiste Bruno Angelini existe depuis un moment en France et c’est au sein du quartet de Francesco Bearzatti que le public aura découvert la puissance et l’inventivité de son jeu qui repousse encore un peu plus loin les possibilités de l’instrument.
Tom Harrell n’avait pas encore joué à Coutances. Le public qui le découvrait aura pu être surpris par le contraste entre sa fragilité physique et l’assurance toujours aussi vive d’un jeu de trompette limpide et chaleureux aux côtés de Baptiste Trotignon.
Avec Ninety Miles, formation passerelle entre les USA et les Caraïbes, c’est Nicolas Payton, trompettiste néo-orléanais qui s’est illustré mais assez sobrement. Remplaçant de Christian Scott dans cette formation, on se demande s’il y a bien trouvé toute sa place entre les deux fortes personnalités que sont le vibraphoniste Stefon Harris et le brillant saxophoniste David Sanchez. À l’inverse, Cuong-Vu s’est parfaitement intégré dans le sextet "Constellations" de Christophe Marguet. Le travail collectif mené en quelques jours autour de ce projet a soudé solidement une formation qui est promise à un bel avenir. Cuong-Vu a montré toute l’étendue de son talent : sonorité droite et phrasé assuré servent une belle expressivité. Un grand musicien !
Avec Matthieu Michel, l’approche est toute autre. Dans la remarquable formation de Michel Benita, "Ethics", la trompette et le bugle se fondent dans un son d’ensemble avec sourdine et quelques effets très mesurés. L’ex-trompettiste du défunt Vienna Art Orchestra ne joue jamais les solistes arrogants, il se met au service du collectif : tout pour la musique !
La démarche du britannique Alex Bonney, membre du collectif Loop est assez semblable mais ce trompettiste prend en charge également la mise en espace de la musique de l’ensemble grâce à un dispositif informatique. Musicien et architecte du son !
On concluera ce propos avec un coup de chapeau à Maurice Brown, trompettiste de la formation de Marcus Miller et soliste brillant et original qui évolue dans ce contexte sans jamais apparaître comme un clone de Miles Davis, une performance quand on évolue aux côtés de l’auteur de Tutu !
Cet inventaire est incomplet puisqu’il y manque, entre autres Ibrahim Maalouf que nous n’avons pas écouté puisque Christophe Marguet jouait au même moment !
.::Thierry Giard: :.
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Chroniques des concerts en textes et images dans le diaporama ci-dessous !
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Cette édition aura donc marqué la véritable entrée dans une nouvelle décennie.
La période électorale, sans doute les effets d’une "crise" économique dont on commence à percevoir l’impact réel et une météo peu favorable, tous ces facteurs ont pesé sur cette 31ème édition. La fréquentation a marqué une baisse, en particulier sur les premiers jours même si le taux de remplissage des salles reste globalement bien supérieur à la moyenne des festivals de jazz hors saison estivale.
C’est aussi un signal d’alerte qui doit amener à réagir et à s’interroger sur les risques d’une croissance continuelle.
Sans prendre une véritable option "décroissante", il nous semble que ce festival qui s’honore d’avoir engagé l’opération "Pommiers durables" en se préoccupant de l’impact écologique de cette manifestation pourra aussi réfléchir à son bilan carbone...
Lors du point presse d’ouverture du festival, Denis Le Bas expliquait que la rareté des tournées à cette période de l’année avait nécessité de faire venir nombre de musiciens souvent pour un unique concert et parfois de très loin (Hermeto Pascoal et sa formation venaient du Brésil, et ce n’est qu’un exemple !).
Comme le font déjà certains festivals, pourquoi ne pas profiter de la venue à Coutances de certains musiciens pour les programmer à plusieurs reprises dans le cadre de formations différentes afin de profiter au mieux de leur présence et de "rentabiliser" les déplacements ? Le jazz est aussi une musique de rencontres organisées ou informelles et nous en avons eu la preuve tout au long de cette semaine (la formation de Christophe Marguet ou la formation sélectionnée pour Take 5 Europe par exemple...).
Ainsi, la Marmite Infernale programmée le dimanche pouvait se décomposer en plusieurs formations : le Workshop de Lyon (qui n’a jamais joué à Coutances), Chant Bien Fatal (remarquable et innovant), Old Blind & Deaf etc. Il en va de même pour les finlandais de Gourmet qui a joué au château de Gratot le vendredi 18. Autour de ces musiciens et, en particulier, du remarquable saxophoniste Mikko Innanen et du batteur Mika Kallio, il était possible de composer des formations qui permettaient de découvrir aussi ce jazz venu du nord. De plus, l’un et l’autre collaborent fréquemment avec des homologues français : une bonne occasion pour des retrouvailles ! En suivant ainsi des musiciens à travers diverses formations, le spectateur-auditeur peut aussi prendre conscience de la richesse et de la diversité de leur travail et l’apprécier dans divers contextes... Une façon d’étayer le sens critique ?
Dommage aussi que le quartet québécois invité pour la "Battle sous les Pommiers" n’ait pas pu donner un vrai concert. Il y a tant d’années que le pianiste François Bourassa souhaitait jouer à Coutances !
On nous rétorquera que la mission d’un festival est d’offrir une rencontre avec le public au plus grand nombre possible de musiciens et de formations.
N’est-ce pas aussi un saupoudrage illusoire ?
La surabondance est-elle le meilleur moyen de construire une vraie culture ?
Ne faudra-t-il pas aussi faire le deuil des exclusivités, des "scoops" et des "concerts uniques en France" au profit d’un travail en réseau plus riche et plus dense avec d’autres structures de diffusion ?
Loin de nous l’idée de se replier sur une festival "national" (ça n’aurait aucun sens) mais toutes ces questions et bien d’autres encore se posent et nous ne prétendons pas en détenir la réponse.
Celle-ci ne peut venir que d’une réflexion de fond. En cela les crises et les années plus difficiles peuvent être bénéfiques.
Longue vie à Jazz sous les Pommiers !
.::Thierry Giard: :.
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