À Lyon, l’Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire va fêter ses 40 ans en 2017. Les deux dernières productions du label ARFI attestent de son intense vitalité !
Voilà déjà 40 ans que des musiciens curieux et engagés se sont lancés dans une quête aventureuse à la Recherche d’un Folklore Imaginaire. Si le cœur de l’A.R.F.I. bat à Lyon (Le Workshop de Lyon, bientôt 50 ans d’âge, est la cellule-mère de l’association devenue collectif), ses membres l’irriguent depuis les terroirs environnants où ils résident : Bourgogne, Auvergne, Rhône-Alpes... mais aussi Touraine comme dans le cas de Jean Aussanaire ou Poitou comme Éric Brochard. Le temps passe, les hommes aussi, partis sur d’autres voies (Louis Sclavis...) ou emportés trop tôt (les regrettés Maurice Merle, Pascal Lloret, Alain Gibert...) mais l’esprit de la recherche est toujours vif. L’ARFI est plus que jamais un espace de création et d’invention intense au carrefour des modes d’expression artistique, entre arts savants et arts populaires.
À l’ARFI, on a du goût et on aime les bonnes choses bien faites. Après des projets menés autour de la cuisine il y a quelques années, le vin est à l’honneur dans "Déraisonnables". Ce disque estampillé "circuit court" (nouvelle collection ARFI, du cultivateur de son à l’oreille curieuse) présente la musique d’un ciné-concert créé dans une relation de proximité avec le viticulteur passionné de Touraine, Michel Autran, inventeur du projet. Associer musiques imagées et images sans musiques, c’est aussi une pratique devenue habituelle pour le Collectif ARFI (de Potemkine à Bobines Mélodies en passant par Koko le Clown...) et ce depuis belle lurette. Ainsi donc, Jean Aussanaire (saxophoniste tourangeau), Éric Brochard (contrebassiste poitevin d’origine) et Clément Gibert (clarinettiste auvergnat), tous trois affiliés à l’ARFI se sont confrontés aux images d’un documentaire des années 1925-1930, "Le vignoble français" en étroite complicité avec un vitisculpteur qui modèle sa production avec le doigté d’un artiste créateur (et sans engrais chimiques ni pesticides : en biodynamie !). Un trio sans tambours (ni trompette) qui imprime rapidement son identité dans une formule "de chambre" ou plus précisément "de cave" où la contrebasse d’Éric Brochard fait figure de robuste pilier autour duquel gambadent les deux anches volubiles et joueuses : envolées champêtres, ritournelles aux parfums de terroir (Canon vouvrillon...) et libres aventures plus abstraites (Ciel rouge...) se combinent habilement pour constituer une musique aux saveurs subtiles. On notera la présence d’un invité insolite sur les plages 5 et 13 : le son des jus qui fermentent ! La musique au naturel !
Certes, on pourrait penser qu’un DVD eût peut-être mieux restitué ce lien entre musique et images mais on réalise vite à l’écoute de ce disque que cette musique peut aussi exister par et pour elle-même, l’image n’étant alors que l’élément déclencheur de la création.
Avec "Déraisonnables", on retrouve la vigueur créative qui fait la spécificité de l’ARFI, sans concessions mais avec l’habileté qui permet d’amener l’auditeur hors de ses parcours musicaux ordinaires sans risquer de l’effrayer. C’est gagné !
C’est naturellement dans les grandes formations que l’esprit "collectif" transparaît le mieux. La Marmite Infernale a toujours été le laboratoire de synthèse musicale de l’ARFI. C’est là que prennent forme, en grand, les recettes essayées dans des ensembles aux géométries variables. On est passé ainsi d’une Marmite en cuivres, vents, cordes et percussions à l’intégration de l’électricité et de l’électronique (l’arrivée de Xavier Garcia, venu des musiques électro-acoustiques, aura été un tournant). Dans La Marmite Infernale, le répertoire change au fil de projets portés par des idées ou des envies nouvelles. On citera par exemple la rencontre avec un chœur sud-africain (Sing For Freedom - 2004), une "relecture" féroce de l’œuvre d’Hector Berlioz (Le Cauchemar d’Hector - 2012) et, dernière création en date, "Les Hommes... maintenant !".
Une affaire d’hommes... Oui, car à l’ARFI, on est loin de la parité, c’est un fait (où sont les femmes, hein... ?). Une parenthèse qu’on ne referme pas d’ailleurs car, dans ce spectacle qui met en scène les hommes musiciens, il y a une part certaine d’auto-dérision... La plupart d’entre eux portent des robes à l’aspect de cottes de mailles constituées d’une multitude d’épingles à nourrice. Mais ça, vous ne le verrez pas en écoutant cette musique bariolée, multi-pistes où la techno désaxée avale une fanfare, où du flamenco bancale (Goupil) précède un hymne pathétique et puis, il y a ces mélodies inévitablement folkloriques qui sont le piment des musiques de l’ARFI (La montagnarde de Pontgibaud - Alain, Maurice, on pense à vous !). Un joyeux délire organisé, orchestré, mis en scène avec une finesse extrême pour mettre en synergie les idées les plus délirantes en unissant les générations, anciens et nouveaux, main dans la main.
En fait, le "maintenant !" de l’intitulé revoie à la vieille histoire (1997) d’un spectacle intitulé "Les Hommes" qui avait impliqué la Marmite Infernale aux côtés de la Compagnie de théâtre du Lézard Dramatique sous la direction et la mise en scène de Jean-Paul Delore, celui-là même qui a été à nouveau sollicité pour l’élaboration de ce nouveau spectacle.
Sur scène, l’effet est saisissant comme en témoigne notre camarade chroniqueur Alain Gauthier dans le compte-rendu d’un concert parisien en février 2016 : "Cette Marmite Infernale bouillonne dans la forge primordiale, là où le feu originel s’expanse en monstrueuses giclées colorées bouillonnantes, en gigantesques cascades incendiaires : un hénaurme carphanaum dont l’écho ricoche ici et là dans l’univers. De cette forge naissent leurs furies sonores et des balades délicieuses, des grooves de rock dur et des airs de berger à flûtiau, des riffs fukushimesques et des bribes qu’on chantonnerait en se coupant les poils du nez." écrivait-il.
N’allez pas croire que le disque minimise cette impression : les hommes de l’ARFI sont assez malins et expérimentés pour faire vivre pleinement la musique sans qu’on ressente l’absence du paramètre visuel. La prise de son est d’ailleurs assez fine et précise pour recréer un espace sonore qui restitue la profondeur du spectacle (Après Pâques, par exemple...).
Un disque qui va marquer encore une fois le parcours d’un grand ensemble hors du commun qui fait feu de tout bois pour porter à ébullition leur Marmite Infernale qui contient cette année encore une potion savoureuse et roborative.
Et, comme l’écrivait Alain Gauthier : "L’Amicale Rigolotte Franchement Irrévencieuse, les Artistes Rassemblés en Fanfare Innovante, l’Association pour la Recherche d’un Folklore Imaginaire, l’A.R.F.I. donc, enchante le monde.".
OUI ! pour une exceptionnelle créativité bouillonnante et durable !
Jean AUSSANAIRE – Éric BROCHARD – Clément GIBERT : "Déraisonnables"
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