Le final de l’Europajazz Festival 2012 : pour conclure...

L’Europajazz Festival 2012 s’est achevé au Mans le dimanche 6 mai.
Fin d’un "véritable marathon de 102 concerts en région des Pays de la Loire et dans l’Orne" comme le précisent les organisateurs. Et fin palpitante du marathon électoral ce même soir...
Comme les précédentes, cette 33ème édition de l’Europajazz s’est achevée à l’Abbaye de l’Epau par "trois audacieuses « créations » confiées à Benoît Delbecq, Keith Tippett, Paolo Damiani" [1] dont Alain Gauthier vous a parlé dans le précédent article.

La fréquentation frôle les records et on ne peut que s’en réjouir. On notera que la programmation s’est trouvée allégée en réduisant à deux concerts les soirées dans l’abbaye avec un intermède sous le chapiteau "Magic Mirrors" assuré par le duo Olivier Thémines (clarinette) et Guillaume Hazebrouck (fender rhodes) sur des films muets de Jean Renoir. Une tâche difficile dans un lieu où chacun vaque à diverses occupations d’entracte entre le bar, les stands de restauration et les étalages des disquaires (Les Allumés du Jazz et Orkhêstra)... Une nouvelle organisation appréciable mais qui nécessitera sans doute d’être affinée.

Notez dès à présent que la prochaine édition de l’Europajazz se déroulera du 11 mars au 12 mai 2013.

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Suite et la fin de notre parcours au fil du programme de l’Europajazz Festival 2012, au Mans.
Impressions, émotions, déceptions à travers quelques concerts marquants.

Au sommaire :
David MURRAY CUBAN ENSEMBLE plays Nat King Cole | Hamid DRAKE - Peter BRÖTZMANN duo | Trio CELEA, PARISIEN, REISINGER | Vincent COURTOIS solo | Joëlle LÉANDRE - Pauline OLIVEROS - Barre PHILLIPS - Pascal CONTET | Louis SCLAVIS ATLAS TRIO

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> Jeudi 3 mai 2012 - Le Mans

David Murray Cuban Ensemble - Le Mans, 3 mai 2012
David Murray Cuban Ensemble - Le Mans, 3 mai 2012
© CultureJazz.fr

David MURRAY CUBAN ENSEMBLE plays Nat King Cole

Tiens, ils sont huit sur scène, y compris le saxophoniste-leader.
Tout de suite, les émotions du jazzfan se réveillent. Huit, un octet donc. Et voilà que reviennent en mémoire les fameux octets historiques de David Murray qui figurent parmi les formations les plus chargées en énergie émotionnelle de ces trente dernières années.
Eh bien, rien à voir, oublions tout cela ! Les musiciens réunis dans cette formation sont de jeunes et talentueux tâcherons qui jouent une musique au pied de la lettre mais sans aucune âme (même si le trompettiste et le pianiste se révèlent au-dessus du panier).
David Murray tente bien de mettre le feu à cet ensemble supposé cubain (clichés associés : la chaleur, la danse, les couleurs, les épices...). Il distribue les solos d’un geste un poil autoritaire voire désabusé... Décidément, quand ça veut pas, ça veut pas.
La musique "exotique" de Nat King Cole est sucrée comme une friandise à la rose mais on la goûtera une autre fois. Dommage !
Un conseil pour les déçus : achetez le coffret édité par CamJazz [2] qui regroupe 5 disques enregistrés par David Murray en octet pour le label Black-Saint (1981 à 1991). Un régal ! Ou bien encore le disque pétaradant de son "Latin Big Band" Now is another Time enregistré en 2001-2002... s’il est encore disponible.

.::Thierry Giard: :.

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> Vendredi 4 mai - Le Mans

Hamid Drake & Peter Brötzmann - Europa Jazz Festival, 4 mai 2012
Hamid Drake & Peter Brötzmann - Europa Jazz Festival, 4 mai 2012
© CultureJazz

Hamid DRAKE - Peter BRÖTZMANN duo

Histoire d’ une rencontre

Un batteur qui bat
magnifiquement
Un souffleur qui souffle
furieusement
L’un à côté de l’autre
L’un après l’autre
mais pas l’un avec l’autre.
Plaintes, grondements, sons coléreux,
grognements d’un saxo dont les anches sont taillées sur place au couteau de cuisine.
Prolongement de lui même,
le loup solitaire,
Peter Brötzmann fait hurler son instrument
vite, fort, vite, fort
Tout le temps, sur tous les temps
c’est du pur, c’est du dur !
Oppressant !!
Hamid Drake emboîte le pas.
Explosions, éclats, frappe violente.
Chacun crache ses tripes, ça fait mal.

Et ouf ! On respire …
Hamid Drake prend le bendir,
Peter Brotzman, sa clarinette en métal
et la tension retombe
pour nous rasséréner.
Le concert a démarré depuis 50 minutes, ils se mettent à jouer ensemble.
Nostalgie...
Les inconditionnels sont aux anges.

D’autres aimeraient " libérer " le Free jazz .

.::Denise Giard: :.

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Jean-Paul Celea, Emile Parisien, Wolfgang Reisinger - Le Mans, 4 mai 2012
Jean-Paul Celea, Emile Parisien, Wolfgang Reisinger - Le Mans, 4 mai 2012
© CultureJazz.fr

Trio CELEA, PARISIEN, REISINGER

Jean-Paul Celea, stature d’un sage bien enraciné au milieu de la scène est encadré à sa gauche par un compagnon de longue date, Wolfgang Reisinger à la batterie et à sa droite par le jeune Émile Parisien qu’on croirait avoir toujours vu là, au saxophone.
Le trio joue Ornette Coleman, cette musique libre magnifiquement portée par les trois hommes qui nous l’offrent avec amour.
Sur scène, autant que la musique, ce sont les regards entre les musiciens qui nous fascinent.
Regards attendris, admiratifs : Reisinger, tout en faisant jaillir la vie de sa batterie avec un naturel déconcertant, ne quitte pas des yeux le poulain qui chaloupe avec son saxophone.
Émile Parisien improvise comme il respire, son souffle accompagné d’une gestuelle bien personnelle a du caractère. Comme pour s’emplir de la musique, il se berce et berce son saxophone, nous entraînant inévitablement dans sa danse. Il fixe ses pairs, ses pères, poussant les sons jusqu’à ce qu’ils nous pénètrent.
Jean-Paul Céléa, maître de la contrebasse, clé de voûte de ce triangle radieux approuve par ses sourires les échanges musicaux entre ses deux compères et les nourrit avec bonheur.
Un fil lumineux relie les trois musiciens et Ornette est présent.

Moment rare où le cœur est touché, où le concert terminé, on se lève de notre siège, comme étourdis par cette joie intérieure que nous avons partagée. Et pourtant, ce n’est pas de la musique facile... comme quoi !

.::Denise Giard: :.

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> Samedi 5 mai - Le Mans

Vincent Courtois solo - Le Mans, 5 mai 2012
Vincent Courtois solo - Le Mans, 5 mai 2012
© CultureJazz.fr

Vincent COURTOIS solo

À l’Europajazz, Les concerts de midi dans la collégiale Saint-Pierre-La-Cour sont toujours des rendez-vous hors du temps par le choix d’une programmation originale et par le lieu qui invite à recevoir la musique en toute sérénité.
Ce lieu de culte devenu lieu de culture, accueille des expositions et, chaque année, il nous est permis de contempler des œuvres picturales en même temps que d’assister aux concerts.

Samedi 5 mai, c’est Vincent Courtois, seul avec son violoncelle qui habitait la collégiale investie par des toiles monumentales du peintre Charles Belle : fleurs très colorées, chatoyantes.
On pouvait lire sur une bannière présentant l’artiste, une citation que, sans doute, Vincent Courtois ne démentirait pas en la transférant à sa musique.
"Peindre est une vibration des sens" et cette vibration, elle était éminemment présente tout au long de ce solo offert par le violoncelliste que "l’Imprévu" rend si créatif.

Depuis janvier 2011, l’imprévu est au programme de la vie de Vincent Courtois.
Par la sortie de son disque en solo qui porte ce nom puis par la fondation de La Compagnie de l’Imprévu.
En terme de musique, il a touché à tout ou presque depuis un peu plus de vingt ans et semble venu le temps des confidences, le temps de prendre la liberté de gérer seul l’imprévisible, de livrer un peu d’intimité, de laisser vibrer les sens.

Jouer en solo, c’est un peu l’heure de vérité et le spectateur que nous sommes ressent très fort, en écoutant Vincent Courtois, cette sincérité musicale qui l’envahit.

Tantôt virtuose, les élans lyriques du violoncelliste classique s’autorisent des grincements. Tantôt poète, il se joue des silences et emplit l’espace faisant rebondir sur les murs de pierre les vibrations des cordes frappées ou pincées. Tantôt rageur, il conduit son archet d’un geste lancinant jusqu’à ce le son touche nos esprits.

Chez Vincent Courtois, l’Imprévu n’est pas le "laisser faire", il est loin d’être déconcertant et l’écriture y tient toute sa place.
Pour finir, il nous a même fait ce petit cadeau imprévu avec Le Temps des Cerises, juste de quoi nous motiver si besoin était, d’aller voter le lendemain ( élections présidentielles, obligent ! )

Nous noterons que Vincent Courtois nous a même prouvé qu’il était plutôt du genre prévoyant en assurant illico, au milieu du concert, le remplacement imprévu d’une corde cassée, trouvant immédiatement dans sa boîte à outils, le matériel nécessaire.

.::Denise Giard: :.

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Pascal Contet, Joëlle Léandre, Barre Phillips, Pauline Oliveros - Le Mans, 5 mai 2012
Pascal Contet, Joëlle Léandre, Barre Phillips, Pauline Oliveros - Le Mans, 5 mai 2012
© CultureJazz.fr

Joëlle LÉANDRE - Pauline OLIVEROS - Barre PHILLIPS - Pascal CONTET

2 hommes
2 femmes
2 accordéons
2 contrebasses
Parité parfaite
ça ne s’improvise pas
et pourtant
ils sont là pour ça !
Le temps de prendre le temps
et ils le prennent...
Tempo lent
recueillement
Temps suspendu
nébuleuse
C’est doux, calme, ça ne démarre pas mais on est bien.
Atmosphère inter-galactique
Soudain, enfin...
Rupture !
Les deux accordéons se racontent, s’interpellent
Une pointe d’humour surgit
La coquille s’ouvre
Les contrebasses complices
se lancent un défi
Pas de surprise,
on le connaît déjà.

Quand l’impro se répète, est-ce encore de l’impro ?

Entrer ou ne pas entrer dans le cercle.
Accepter l’invitation, se laisser bercer
bousculer en toute innocence
Prendre le parti de rire
ou de s’agacer du hasard prémédité.

Y a t-il tâche plus délicate que l’improvisation ?

.::Denise Giard: :.

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Louis Sclavis, Gilles Coronado, Benjamin Moussay - Le Mans, 5 mai 2012
Louis Sclavis, Gilles Coronado, Benjamin Moussay - Le Mans, 5 mai 2012
© CultureJazz.fr

Louis SCLAVIS ATLAS TRIO

Nous n’avions encore eu l’opportunité d’entendre ce nouveau projet.
Il était au programme de L ’Europajazz et par "dévotion" pour Louis SCLAVIS et a priori enthousiaste pour le jeu de ses deux compagnons : Benjamin MOUSSAY et Gilles CORONADO, on attendait ce concert.
Quelques jours avant le festival, nous recevons pour le chroniquer, le CD du trio ( qui sortira le 28 mai 2012 ) et là, après une écoute attentive, un soupçon de doute s’installe dans notre esprit et même une pensée peu positive nous le traverse. "Ce serait une bonne musique pour montage diapos".
De beaux ingrédients sonores, c’est l’évidence mais une retenue, un détachement qui ne nous accrochent pas et ne seraient pas loin de nous plonger dans une douce torpeur , qui pourrait même être proche du sommeil.
L’impression laissée par cette écoute nous fait donc attendre avec encore plus d’impatience le concert "live" en espérant vérifier le slogan de l’AJMI : "Le meilleur moyen d’écouter du jazz, c’est d’en voir !".
Et nous confirmons.
Sur scène, la musique écrite (pour la majorité des morceaux) par Louis SCLAVIS, crée des images et stimule en permanence notre imaginaire.
On se surprend à parcourir "in situ" et en sautant des pages, le recueil de cartes géographiques (atlas ?) que le trio feuillette devant nous.
Dès le premier morceau : "La disparition" (que nous n’avions pas remarqué à l’écoute du CD), on nous emmène en voyage.
Benjamin MOUSSAY aux commandes de ses claviers, plante le décor et c’est parti pour une marche dans le désert (à l’assaut du massif Atlas ?), une balade le long du fleuve Niger, un périple sur la route de Karaganda...
Une musique plus rafraîchissante jaillit avec le morceau "Source" après qu’on se soit laissés enivrer par "Dresseurs de nuages".
Le son bien caractéristique de la clarinette basse de Louis SCLAVIS, entre slaps et souffle continu nous donne ce vertige des grands horizons.
Gilles CORONADO fait vibrer sa guitare de sons hérissés, trempés dans l’acier, apportant le piment nécessaire à la transhumance, même quand elle passe par la Moselle (Près d’Hagondange, en écho à la pièce de Jean-Paul Wenzel, "Loin d’Hagondange").

Les trois voyageurs du rêve font circuler entre eux une énergie communicative et on suit la caravane avec bonheur, on est transportés, alors que le CD nous avait laissés sur le chemin.

L’écouter après le concert (réécouter pour nous) permet néanmoins de garder un souvenir de ce beau voyage.

Pour ce qui est de la pensée concernant le montage diapos, nous l’avons oubliée. C’est plutôt un road movie qui défile dans nos oreilles quand le trio taille la route en direct et ce concert dans l’Abbaye de l’Épau a été une vraie révélation.
Comme quoi, la musique vivante...

.::Denise Giard: :.

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> Lien :

[1Comminiqué final du festival.

[2bon marché en plus !